En attendant le 6 mai : à droite, la dérive raciste, à gauche, la rose et le résidu

mis en ligne le 15 mars 2012
Le spectacle offert aux possibles électeurs, depuis le début de 2012, ne manque pas d’étonner. À droite, le chef de l’état et son entourage ne cessent de reprendre les thèmes de l’extrême droite : plus ultranationaliste que moi tu meurs ! À gauche, on s’affiche surtout républicain, oubliant au passage de trop se proclamer socialiste. Ce qui serait la moindre des choses. De son côté, l’extrême gauche a quasiment disparu du paysage, sans vraiment en tirer les leçons.
Alors qu’il entrait officiellement en campagne pour l’élection présidentielle, à la mi-février 2012, Nicolas Sarkozy annonçait, de façon tonitruante : « Je vais redonner la parole au peuple ! » Grand merci ! Superbe proclamation qu’il n’était pas difficile de décortiquer. Cette parole, qui serait libérée, ayant pour finalité de proposer, par voie de référendum, deux approche de la répression. Tout d’abord, il s’agissait d e stigmatiser les chômeurs, ces fainéants qui vivent aux crochets de la France profonde, ces « assistés » qui n’ont pas honte de se laisser entretenir alors que d’autres se lèvent tôt et travaillent durement. Autre volonté de celui qui règne à l’élysée : en finir avec ces sans-papiers qui empoisonnent ce vieux pays gaulois. En clair, il serait fait appel aux plus bas instincts des beaufs qui peuplent massivement l’ancien pays de la liberté et du droit d’asile.

Toutes les provocations peuvent être envisagées
Cette volonté de « rendre la parole au peuple » est d’autant plus étonnante que l’on n’a jamais voté que ces dernières années. Curieuse proclamation. Toutes proportions gardées, cela ne peut que rappeler le coup de clairon du prince Louis-Napoléon Bonaparte, au lendemain de son coup d’état du 2 décembre 1851, avec cette annonce qui se voulait tonitruante : « Je rétablis le suffrage universel ! » Cela alors que la plupart de ses opposants étaient arrêtés par sa police ou momentanément en fuite. Dès le lendemain, le dictateur faisait canonner les quartiers populaires de Paris. Nous n’en sommes pas encore là mais il faut bien être persuadé que Nicolas Sarkozy ne rendra pas de gaieté de cœur les clés du château. Il faut être bien convaincu que, d’ici au 6 mai 2012, toutes les provocations sont encore possibles, bien au-delà des actuelles imprécations contre les chômeurs et les immigrés sans papiers. Les multiples fichiers policiers ne sont pas faits pour les chiens.
Bien sûr, il ne faut pas succomber au catastrophisme, mais ce que l’on qualifie de corps électoral est tellement inconséquent qu’il y a toujours matière à s’inquiéter. Souvenons-nous de la quinzaine suivant le 21 avril 2002. Il ne se passait pas de jour sans manifestation, à Paris et dans les grandes villes. Rejet de Le Pen ? Sans doute. Mauvaise évolution de la situation ? Certainement. Ainsi, au plus fort d’un authentique mouvement, que l’on aurait pu croire populaire, il était possible de voir s’agiter de nombreux drapeaux tricolores, accompagnant cet étonnant slogan : « Votez pour l’escroc, pas pour le facho ! » La stupidité de cet appel aux urnes annonçait surtout la capitulation tacite de ceux qui, déjà résignés, échangeaient un plat de lentilles de gauche contre un de fayots de la droite. Au nom d’un improbable Front républicain, les bonnes âmes qui appelaient à voter Chirac allaient nous installer Sarkozy au plus près d’un pouvoir revanchard.
Plus nous approchons de la date fatidique du 6 mai, plus nos sociaux-démocrates ne cessent de nous envelopper dans un républicanisme désuet, et plus la droite dure hausse le ton, jusqu’à nous faire oublier les imprécations du Front national. De part et d’autre, on fait assaut de volonté sécuritaire. Les uns nous proposent à nouveau une police redevenue démocratique par la simple magie du suffrage universel ; les autres continuant à faire patrouiller leurs hommes de main dans les quartiers dits « difficiles ». La différence est mince, guère plus épaisse qu’un feuillet de ce Code de déontologie de la police, jamais respecté depuis qu’il avait été promulgué par une gauche en souffrance, en mars 1986, avant qu’elle ne perde les élections. Il est vrai que, avant de céder le poste de Premier ministre à Jacques Chirac, Laurent Fabius avait eu cette réflexion mémorable : « En période difficile, c’est toujours la gauche qui fait le sale boulot ! »

Ne me faites pas rire, j’ai les lèvres gercées !
Une fois de plus, il convient de rappeler l’article 10 de ce Code de déontologie : « Toute personne appréhendée est placée sous la responsabilité et la protection de la police ; elle ne doit subir, de la part des fonctionnaires de police ou de tiers, aucune violence, ni aucun traitement inhumain ou dégradant… » On avait dû bien ricaner dans les commissariats lorsque ce texte avait été distribué à nos fidèles gardiens de la paix, toujours en guerre contre les précaires, les sans-papiers ou les contestataires en tous genres. Nous savons ce qu’il en a été depuis, et ne peuvent plus en témoigner ces victimes des forces de l’ordre, décédées à la suite de l’application stricte des « gestes techniques enseignés en école de police ».
La droite dure revenue durablement, au printemps 1993, avec le tristement célèbre Charles Pasqua de nouveau aux manettes place Beauvau, le Code de déontologie se voyait complété par un codicille concernant les contrôle d’identité, et particulièrement des « contrôles préventifs », permettant de contrôler « toute personne quel que soit son comportement ». Bien entendu, il était précisé que ces contrôles devaient s’effectuer « dans le respect de la liberté individuelle, avec vigilance, courtoisie, et dans les conditions fixées par la loi ». De grâce, ne me faites pas rire, j’ai les lèvres gercées. Personnellement (par héritage), je ne pouvais que ressentir douloureusement un article concernant le contrôle de la situation des étrangers, permettant d’opérer ces vérifications, « en dehors, éventuellement, de tout contrôle d’identité ». Vingt ans plus tard, la situation n’a pu que se détériorer et, si l’étranger n’est pas montré d’un doigt vengeur comme responsable de crise frappant les démocraties européennes, c’est tout comme.

Dégage, Nicolas !
La violence des propos entendus depuis l’entrée en campagne de Nicolas Sarkozy laisse entrevoir les ruades possibles de la bête politique blessée. D’autant plus que la réception qui lui a été réservée le 1er mars à Bayonne a dû lui mettre la rage au cœur. Malgré sa protection rapprochée, le président des riches, qui se veut « populaire », et en tout cas proche du peuple, n’a pas manqué d’entendre, sur l’air des lampions, des gentillesses comme « Dégage, Nicolas ! » et « Retourne chez Bolloré ! » ou, tout naturellement, « Casse-toi pov’con ! ». Peu charitablement, Libération relevait le propos d’un manifestant : « Ne lui marchez pas dessus ! » La rencontre avec le peuple se terminera par l’arrivée en renfort d’une centaine de CRS, matraques hautes. Finalement, celui qui estime être « partout chez lui » en France devait se réfugier dans un bar du petit Bayonne avant de prendre piteusement la fuite à bord d’une voiture sous la protection des forces de l’ordre. Preuve, s’il en était nécessaire, de l’indispensable présence d’une police nombreuse quand le président désire se frotter à la foule.
Bientôt, si la tactique électorale du président l’exige, on expliquera à la France profonde que la police de la République est infiltrée par des fonctionnaires de police dévoyés, à la solde d’une opposition désireuse de troubler le jeu démocratique. Il n’est d’ailleurs pas inutile de noter que, très récemment, le préfet de police de Paris, Michel Gaudin, était entendu comme « témoin assisté » (c’est le statut attribué aux personnages importants qu’il n’est pas possible de mettre en examen) pour avoir commandité une enquête contre des policiers jugés « trop à gauche ». Peut-être s’agit-il de ces fonctionnaires d’autorité n’ayant pas la narine fragile et qui peuvent passer d’un tuteur à l’autre sans avoir le sentiment de changer de bord. Ceux-là sont très utiles car ils permettent de définir la police comme éminemment républicaine, prioritairement soucieuse de maintenir l’ordre sous tous les régimes.

Les promesses durent le temps d’une campagne
Il faut bien constater que le sortant est plus dangereux, pour ce qu’il nous reste de libertés fondamentales que le prétendant. Pourtant, comme il serait naïf de se fier aux promesses ! Un retour sur les vingt-cinq dernières années passées permet de se souvenir qu’en 1988 François Mitterrand avait promis d’abroger les lois liberticides de Pasqua-Pandraud sur les immigrés, or il n’en sera rien ! De même, en janvier 2002, sollicité de s’exprimer sur les sans-papiers, Lionel Jospin, certain de sa victoire à l’élection présidentielle, estimait nécessaire de flatter les bas instincts nationalistes de certains de ses électeurs en évoquant ceux « qui n’ont pas vocation à rester en France ». Il est vrai que, très tranquillement, le même habile homme avait tenu à affirmer, la main sur le cœur : « Mon programme n’est pas socialiste. »
Dix ans plus tard – un socialiste averti en vaut deux –, un même scénario peut-il se reproduire, vu la fragilité du successeur de Lionel Jospin ? En effet, contrairement aux affirmations de Nicolas Sarkozy qui hurle à l’épuration s’il perdait les élections, François Hollande et ses stratèges tiennent à affirmer qu’ils ne songent nullement à faire table rase de dix années de sarkozysme actif. Si l’on en croit une récente enquête publiée par Le Monde, il n’est pas question pour nos socialistes de mettre en question l’ensemble des « réformes » mises en musique à l’élysée depuis 2007. En douceur les têtes pensantes du Parti socialiste nous expliquent qu’en matière de sécurité, par exemple , « il faudra évaluer les lois qui n’ont aucun impact, aucune efficacité et celles qui marchent ». Ces réflexions dignes d’hommes d’état cohérents n’évoquent pas ces lois perverses qui mettent nos libertés en péril. En creux, l’idée même de pouvoir continuer à les utiliser ne doit pas être absente. N’oublions pas que la gauche a été représentée au ministère de l’Intérieur par des hommes aussi éminents que Jean-Pierre Chevènement, lequel expliquait tranquillement que la France a une « tradition de police d’ordre » ! Nous savons, d’expérience, ce que cela peut signifier…

L’abattage halal menace la République
Régulièrement, au travers du débat sur la viande halal, le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, rejoint par Nicolas Sarkozy et François Fillon, ressort son refrain sur la société française en péril. Oubliant au passage que les consommateurs de viandes égorgées sont également des citoyens de ce pays, s’offrant au passage la joie sadique de stigmatiser, sans les nommer, les musulmans qui encombrent le territoire national. La droite dure (y a-t-il une droite molle ?) ne cesse de réveiller les vieux démons et, au premier rang d’entre eux, la pollution créée par ces étrangers à la peau moins blanche qu’il n’est acceptable par les patriotes conséquents. Pour ne pas apparaître comme des racistes, les grands esprits ont donc ressorti la question de la viande halal. À partir d’un mode d’abattage, la France profonde risque de transformer peu à peu le rejet des « bronzés » en une haine profonde. À ce niveau, où peut donc se situer la ligne jaune qui séparait encore la droite républicaine de cette extrême droite qui n’a jamais abandonné sa sinistre nostalgie du fascisme ?
Dans la campagne électorale d’une droite qui n’a jamais été aussi réactionnaire dans le discours, le débat se situe au ras du caniveau. C’est ainsi que, faute de pouvoir convaincre politiquement un électorat dit populaire, le dernier râle de Nicolas Sarkozy et de son fidèle Guéant concerne la viande halal. Cette attaque étant liée à une volonté de flatter les fidèles du Front national. Ainsi, dans l’une de ses dernières prestations, le « chef de l’état » s’en prend désormais au regroupement familial, censé menacer les vraies valeurs de la France. Comme si toutes ces gesticulations de circonstance allaient permettre de résoudre les difficultés économiques et sociales. Si j’étais un « viandard » invétéré – ce qui est loin d’être le cas –, j’inciterais mes contemporains à se goinfrer de viande égorgée, halal ou casher. Calme-toi, Rajsfus, et contente-toi d’une belle tranche de jambon de Bayonne.