Trois ans derrière des murs pour une simple gifle

mis en ligne le 26 janvier 2012
1657HospitalisationLes Cévennes sont de basses montagnes couvertes de pins et de châtaigniers, où aucune agriculture industrielle n’est possible. Le cultivateur tend à y disparaître, remplacé par le bobo du Nord. Les éleveurs de chèvres continuent à y faire du pélardon. Ceux de brebis envoient le lait à Roquefort, et abattent les bêtes au moment de l’Aïd, pour les travailleurs marocains.
C’est ainsi que vivait Alain, berger d’un troupeau d’une soixantaine de moutons. Il n’était pas exactement de Malons (sa commune d’adoption), puisqu’il était de la DDASS, mais s’y était installé il y a quatorze ans. Il ne buvait pas, ne fumait pas (à part quelques joints quotidiens d’herbe locale) et, quand il redescendait au village, menait une vie rangée, entre sa compagne et leur petite fille.
On a beau vivre dans la nature, il arrive qu’on aille à l’hôpital. C’est ce qui arriva un jour à Alain, heureusement pas longtemps, rien de grave.
À son retour, il n’avait plus de troupeau. Tous les moutons avaient été abattus, à la demande du maire, parce qu’ils étaient sans surveillance et menaçaient d’aller brouter l’herbe d’autrui.
On ne discutera pas la décision du maire. Peut-être agit-il sagement, en l’occurrence. Mais certainement pas amicalement. Il aurait pu au moins prévenir.
Alors que là, la surprise fut totale. Et l’exaspération aussi. Alain alla trouver le maire et, d’un propos discourtois à l’autre, d’un nom d’oiseau à celui d’autres animaux plus ou moins sympathiques, le ton monta. Si bien que le berger finit par allonger une paire de gifles au premier magistrat de la commune.
On a toujours tort de s’énerver. Le maire porta plainte, et Alain, à peine sorti de l’hosto, se retrouva en taule.
Son avocat n’avait pas inventé l’eau tiède. Au tribunal correctionnel d’Alès, il plaida le nervosisme de l’accusé, si bien que le juge, convaincu d’avoir affaire à un énervé de naissance, ordonna l’hospitalisation d’office (HO) dans un établissement ad hoc.
Alain se retrouva donc, après dix-huit mois de préventive, au quartier pénitentiaire de l’HP Carrairon, à Uzès, où il eut tout le loisir de regretter la quiétude des maisons d’arrêt, entouré qu’il était de quelques psychopathes particulièrement inquiétants.
Heureusement, personne, parmi les personnels de cet établissement, ne consentit à le reconnaître fada.
Le juge des libertés fut saisi et, se conformant à l’avis des experts, prononça l’élargissement d’Alain. C’était un vendredi. Le parquet fit aussitôt appel, lequel fut dans la foulée fixé au premier jour ouvrable suivant, lundi 12 décembre, à 10 heures du mat’. Alain ne put ni préparer sa défense, ni même avertir un avocat. En revanche, ce lundi-là, on avait trouvé un nouveau psychiatre qui, contrairement aux autres, pensait qu’il fallait garder Alain à l’hosto.
Ce n’est pas qu’il l’avait trouvé déséquilibré. Non, il écrivait même, dans son rapport :
« Monsieur Paya [c’est le nom d’Alain] est adapté dans une situation qu’il refuse (l’HO) mais ne pose pas de problème d’opposition et de trouble du comportement. »
Oui, mais voilà. Ce n’était pas tout. D’abord, il y avait les cheveux « crépus et emmêlés évoquant la coiffe rasta » et une apparence trop raisonnable pour être honnête « lisse dans ses réponses, ce qui peut renvoyer à une forme de réticence… » Le tout, avec un passé franchement louche : « Concernant son enfance (en famille d’accueil), il ne signalera pas d’événement particulier. De la même manière, à l’adolescence, il n’évoquera pas de dysfonctionnements sociaux ou relationnels. Cependant, il a arrêté l’école à quatorze ans et a travaillé à la ferme familiale. »
Quand on a grandi orphelin chez des pauvres, peut-on se prétendre sain d’esprit ? Et a fortiori lorsqu’on n’a pas fait fortune plus tard : « Il dit qu’il n’avait aucun problème social, ni n’ayant besoin de soin psychiatrique et laisse penser qu’il avait obtenu un équilibre personnel, se contentant de peu dans un contexte qui parait précaire. »
Car, en effet, le pauvre est une variété d’asocial qui, lorsqu’il a un peu de bons sens, demande à être assisté médicalement pour supporter son état. En conclusion, l’expert s’avoue bien embêté : « Nous nous trouvons là devant un problème complexe à savoir que […] Monsieur Paya est adapté et ne présente pas de problème majeur ni de nécessité de traitement, si ce n’est qu’il se sent mal dans un milieu de maladie mentale. »
Et si vous voulez savoir quel est ce problème complexe, il n’est que de se reporter à la question finale posée par le tribunal : « Dire si les troubles mentaux dont est atteint Monsieur Paya compromettent la sûreté des personnes et portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public. »
Le psy n’a même pas eu besoin de se contredire pour trouver à Alain des troubles mentaux. Le tribunal s’en était chargé à sa place. Il lui a suffit de reprendre les termes de la question dans sa réponse : « Les troubles mentaux dont Monsieur Paya est atteint compromettent la sûreté des personnes désignés dans son processus persécutif et par conséquent peuvent porter atteinte de façon grave à l’ordre public. »
Processus persécutif car Alain, au cours de l’entretien, avait prétendu qu’on s’acharnait sur lui parce qu’il avait giflé un élu au bras long, de surcroît magistrat.
Le tribunal, quant à lui, s’appuyant sur la seule expertise qui confirmait ce qu’il voulait penser d’Alain, reconduisit la mesure d’enfermement en hôpital psychiatrique. Laquelle commence à faire long, pour deux claques.
Trois ans de placard, déjà. D’abord la taule, dix-huit mois en tout depuis 2008, et ensuite l’HP, dont il n’est pas près de sortir. Pour un homme considéré par tout le monde, y compris le psy qui l’a renvoyé à l’asile, sain d’esprit.
Mais qui persiste à ne pas admettre qu’on n’a jamais eu aucun tort à son égard. Ce qui prouve sa folie, imperceptible mais tenace. La même qui nous menace tous, à l’occasion. On croyait l’épidémie presque éteinte depuis celle qui avait emporté tant de dissidents dans l’URSS brejnévienne. Elle se manifeste à nouveau dans la France sarkozyste.

Gérard Amaté



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


yann

le 2 février 2012
"Alain, au cours de l’entretien, avait prétendu qu’on s’acharnait sur lui parce qu’il avait giflé un élu au bras long, de surcroît magistrat."

Bin tiens... ce doit sans doute être un heureux hasard si des gens bien plus cabossés mais ayant une ITT inférieure à 8j croisent ceux qui les ont boxé (et non simplement baffé, en prime avec de bonnes raisons) dès le lendemain dans la rue!

Il ne faut pas demander à quel parti ce maire adhère... Ca doit être le parti sarkozyste, à hauteur de son anagrame-verlanisé: Le PMU.

Après cela, il ne faut pas s'étonner quand quelqu'un débarque dans un conseil municipal bien décidé à mettre du plomb dans la tête, pas vraiment selon les méthodes Assimil, des raclres qui y règnent.

tradireve

le 2 février 2012
Cette histoire triste, est représentative du système dans lequel nous vivons actuellement,qui ressemble étrangement au système pré-révolutionnaire. Les moutons dorment, soyez tranquilles. Pour combien de temps encore, peut-être pas longtemps. Les mouvements des indignés et des occuper Wall Street commencent à montrer que la fin des régimes corrompus et des pseudos démocraties est proche, quoi qu'en pensent les politicards de quelque bord qu'ils soient.

Pour en revenir à Alain, je me demande d'abord comment il fait pour tenir?
Je me demande comment peuvent dormir le maire, le magistrat, le psy et les citoyens du patelin, des lâches comme d' habitude.

Comment dorment ceux qui ont abattus les moutons, encore une fois bien innocents dans l'affaire.

Si je comprends bien, habitant un appartenant HLM et hospitalisé trois mois, de retour à mon appartement ... j'apprends que celui-ci a été loué à quelqu'un d'autre pendant mon absence pour raison médicale ... je devrais trouver normal de me retrouver à la rue, ne rien dire, accepter la décision d'une autorité totalement dénuée d'humanité.

Quant on est UMP certains mots comme partage, soutien, souffrance, mal logé, mal chauffé, conditions inhumaines n'ont aucune résonance, puisque l'on sait bien que tout citoyen vit bien avec 900 euros par mois! Toute la droite le clame!

Cette histoire est totalement injuste et inhumaine pour Alain, victime d'une machination de petits bourgeois de campagne, d'une indifférence coupable de son entourage local et social.

Je lui envoi Lumière et Amour

Sam92

le 2 février 2012
Ca n'a rien à voir avec Sarko.
Vous semblez découvrir le système judiciaire en France.
Fallait vous réveiller avant, c'est comme ça depuis bien longtemps, et la gauche n'a jamais rien fait pour que ça change, tout simplement parce qu'elle n'y trouverait aucun intérêt.
Quand on a le bras long en France, ça suffit pour faire ce qu'on veut, un point c'est tout !

le Prolo du Biolo

le 3 février 2012
Y-a-t-il moyen de le joindre et de lui apporter un quelconque réconfort ?

lekrikitu

le 3 février 2012
Pour aider Alain c'est ici : http://www.petitionduweb.com/Petition_paya_poirel_berger_sans_troupeau-10741.html

fughh

le 9 février 2012
Cette histoire est juste aberrante, comme toutes celles qui touchent l'individu quand il se bagarre contre les pouvoirs pourtant assis sur des principes. Assis... Oui, s'assied bien dessus.... Mais c'est ce besoin qu'ont "les citoyens" de se donner des chefs qui maintient des "premiers magistrats" sur un piedestal, et un ordre social corrompu.
Sitôt parvenus à une once de pouvoir, les hommes ont décidément cette tendance à se sentir le droit d'en user, d'écraser sans remord. Nature humaine de merde!

Courage Alain!!!!

cassandra

le 23 février 2012
a part signer la petition, n y a t il pas autre chose a faire pour aider alain? en attendant je te souhaite très sincerement beaucoup de courage.

zozefine

le 13 avril 2012
histoire délirante, que vous racontez en entier, dans tous ses détails, juste pour nous permettre de nous effarer un peu plus. et de prendre peur : lorsque l'asile, comme refuge, devient une prison pour casser les gens, c'est très difficile de résister. et ma recherche pour trouver les détails de cette histoire m'a permis de découvrir votre monde libertaire. donc merci.

HEP

le 16 avril 2012
oui oui
venez tous soutenir le berger en signant ici :
http://www.petitionduweb.com/Petition_paya_poirel_berger_sans_troupeau-10741.html

Adrien

le 9 novembre 2012
Qu'en est-il aujourd'hui? Je ne trouve pas de news.