Les voix incarcérées du Chiapas

mis en ligne le 10 novembre 2011
Depuis la création, en 2006, de l’Autre Campagne – vaste mouvement impulsé par l’EZLN et rassemblant les luttes populaires anticapitalistes du Mexique –, nombreux sont ses adhérents qui, pour avoir lutté contre le capitalisme et ses avatars, vivent aujourd’hui derrière les sinistres barreaux des geôles d’un pouvoir qui, par essence, ne saurait tolérer la moindre contestation un tant soit peu trop radicale. Les traitements subis par ces compagnes et compagnons incarcérés font froid dans le dos, la direction et les matons s’étant mis en tête de les dissuader de reprendre un jour la lutte. Entre violences et mépris, interdictions de visites et bouffes dégueulasses, ces prisonniers politiques vivent l’enfer au quotidien, dans un isolement oppressant et anxiogène qui, sans une haute conception de la dignité, aurait déjà eu raison d’eux. Voici ce que raconte, dans une lettre datée du 16 octobre, la prisonnière Rosa López Díaz : « Ils m’ont arrêtée arbitrairement le 10 mai 2007 avec mon époux Alfredo. Ils nous ont accusés d’un délit que nous n’avons pas commis. Nous avons souffert de traitements inhumains tels que la torture physique, psychologique et des menaces de mort. Le plus triste de tout cela, c’est que j’étais enceinte de quatre mois et à cause de la torture dont j’ai souffert, mon fils est né malade avec une paralysie cérébrale et il est comme mort, mais en vie. »
Afin d’en finir avec l’inacceptable et de tisser un petit voile d’espoir, certains s’organisent pour lutter de l’intérieur et tentent, comme ils peuvent, de porter leur combat au-delà des murs. Et c’est le cas, notamment, de onze prisonniers de la prison dite « Centre pour la réinsertion sociale des condamnés (CERSS) » de San Cristobal de Las Casas, au Chiapas. Appartenant aux associations La Voix de l’Amate, Les Solidaires de la Voix de l’Amate, Les Voix innocentes ou à la section de l’Autre Campagne de Mitzitón, ces onze prisonniers encourent entre 27 et 60 ans de prison pour des faits qu’ils n’ont jamais commis. Depuis le 29 septembre dernier, sept d’entre eux ont entamé une grève de la faim et quatre ont commencé un jeûne quotidien de 12 heures pour réclamer leur libération immédiate et l’abandon des charges à leur encontre.
À l’heure qu’il est, leur action dure toujours ; excepté pour l’un d’entre eux, le professeur Alberto Patishtán Gómez, subitement transféré, le 20 octobre dernier à 2 h 30 du matin, dans une prison fédérale de haute sécurité, un type de taule particulier que les Mexicains ont coutume d’appeler « prison d’extermination » : 23 heures en cellule, une visite familiale tous les trois mois et aucun droit au courrier. Principal leader de la contestation actuelle au sein du CERSS, porte-parole de plusieurs prisonniers, nul ne doute que les autorités l’ont déplacé dans l’espoir d’affaiblir le combat en cours et d’effrayer ses camarades de lutte. D’autres moyens de pressions sont aussi utilisés contre les grévistes, en témoigne cet extrait de la lettre de Rosa López Díaz : « Aujourd’hui j’en suis à dix-huit jours de jeûne de douze heures par jour. Ces jours ont été accompagnés de menaces, celles de me retirer mon fils. Le harcèlement est constant de la part de l’administration pénitentiaire féminine. Ils me prennent en photo tout le temps. Même quand je suis en cellule, un psychologue du nom de Tomas Trejo Lievano vient me harceler et me prendre en photo dans le but de me faire abandonner le jeûne. »
Mais penser pouvoir ainsi les faire plier, c’est sous-estimer leur témérité et leur courage. Non seulement les grévistes n’entendent pas baisser les bras, mais ils sont plus que jamais déterminés, et ce malgré un état de santé alarmant qui ne cesse d’empirer. Dans un communiqué rédigé le 20 octobre, ils affirmaient à l’unisson : « Avec dignité, nous exigeons la justice et la liberté immédiate qui nous ont été volées. Nous disons aussi que nous continuerons la grève de la faim, qui, comme nous l’avons déjà dit, durera un temps indéfini. Nous exigeons le respect de notre intégrité physique, car dans l’état où nous sommes, à cause de la grève de la faim, notre santé se détériore de jour en jour. »
Leur lutte continue donc, et leurs familles appellent les soutiens internationaux à se battre pour faire connaître leurs actions et leurs exigences : « Nous lançons un appel urgent aux personnes de bon cœur, à l’Autre Campagne, à tous et toutes celles et ceux qui marchent en bas et à gauche, à se solidariser et à manifester à leur manière et dans les lieux où ils se trouvent, le plus tôt possible. » En France, plusieurs actions ont déjà été menées, et, chose primordiale, l’information semble plutôt bien circuler. Mais le combat n’est pas terminé, et nous nous devons de rester à l’écoute des paroles qui, régulièrement, s’évadent de la prison de San Cristobal de Las Casas.
Au-delà d’une lutte immédiate contre l’enfermement carcéral, l’obtention de la libération sans conditions des prisonniers politiques s’inscrit dans la vie et le développement d’un combat plus vaste : celui de la construction de l’autonomie au Mexique, d’une société émancipée où tout un chacun est partie prenante d’une gestion sociale, garantissant liberté et égalité. Au risque de radoter, rappelons que la lutte des zapatistes et, plus largement, de l’Autre Campagne sont exemplaires à bien des égards, et porteuses d’espoir pour le mouvement révolutionnaire international. Or, depuis quelque temps, l’enthousiasme militant des premières années suivant le soulèvement, descend en flèche, laissant se pointer le risque d’un isolement croissant d’une lutte en proie à une répression constante et violente. Les altermondialos du début ont en grande partie déserté le terrain, essayons, quant à nous, d’y rester, non sans entretenir pour autant un regard critique sur les aspects qui l’exigent. La solidarité internationale ne doit pas sombrer dans les travers du Spectacle, construisons-là au quotidien.