Prison ferme pour Patrick Aguiar

mis en ligne le 31 janvier 1985
Mercredi 23 janvier, 16 heures. Ceux qui sortent de l’audience où comparaissait Patrick Aguiar pour « refus d’obéissance » ont le visage fermé de ceux qui ne comprennent pas et n’acceptent pas. Quinze mois. Quinze mois de prison ferme pour Patrick, insoumis total.
La dixième chambre correctionnelle a balayé d’un geste le jeu de conclusions réclamant la nullité de la procédure déposé le 9 janvier dernier par Maître de Félice ; elle a écouté distraitement la plaidoirie du même Maître de Félice qui osait demander – le président Quilochini en rit encore sous cape – la relaxe et la libération immédiate du prévenu. La dixième chambre correctionnelle – très calme – a statué – très vite.
Cela fait tout juste deux ans que les tribunaux militaires de sinistre mémoire (T.P.F.A.) ont été abolis et remplacés par des juridictions civiles dont certaines sont spécialisées dans les infractions militaires. À l’époque, cela avait fait plaisir à tous ceux qui les avaient dénoncés et s’étaient battus contre eux de longues années durant. Pour le reste, il fallait attendre de voir.
Fin décembre 83, on a vu. « Avis de recherche » a publié une enquête et une série de statistiques concernant ces nouvelles juridictions. On y apprend que la moyenne des peines distribuées aux insoumis totaux dits « volontaires » pour l’année 1983 est de 15 à 16 mois ferme.
Rien de bien nouveau donc par rapport aux T.P.F.A. d’hier. Rien d’étonnant non plus quand on sait que c’est avec le même barème de peine – le code de justice militaire a été annexé tel quel au code pénal – que ces nouveaux juges civils statuent.
Cela dit, on ne va pas pleurnicher, s’étonner, s’offusquer. L’insoumission totale est indéfendable juridiquement parce qu’elle se place justement en dehors du cadre de la loi. L’insoumission totale est avant tout une attitude, une sensibilité, une certaine conception de la vie et de la résistance à l’oppression quelle qu’elle soit. Et d’où qu’elle vienne.
Patrick n’a pas été étonné. Il connaissait les risques qu’il encourait en s’insoutenable. Et il les a assumés. « L’insoumission totale, nous rappelait-il dans une de ses dernières lettres, même si elle doit passer par la prison, est le ferme refus d’un être libre, de participer à certaines pratiques d’une société avec laquelle il est en désaccord. » Et d’ajouter: « Action individuelle difficile aujourd’hui, l’insoumission gagnera demain quand les hommes n’auront plus peur et décideront de leur destin. »
Le plus inique, à la limite, dans cette histoire, c’est la jurisprudence qui s’est constituée ces derniers mois autour des cas d’insoumission totale. Ce sont les avocats des témoins de Jéhovah qui ont ouvert le feu fin 1983. Apprenant qu’une nouvelle loi – L.51 de juillet 1983 – libérait définitivement des obligations du service national tout appelé ayant effectué un an de prison pour insoumission ou refus d’obéissance, ces avocats se mirent à réclamer aux chambres correctionnelles de Paris et d’ailleurs des peines de prison de 15 mois ferme pour leurs clients. Ni plus ni moins ! Sombre calcul ; en considérant les trois mois de remise de peine possible, ils proposaient en quelque sorte un nouveau « deal » aux tribunaux civils: un an de prison contre un an de service.
Ces tribunaux ont d’ailleurs si bien compris la leçon qu’ils l’appliquent maintenant quasi systématiquement. Et sans qu’on leur demande. Nous voilà donc arrivé aujourd’hui à une sorte de tarif en vigueur concernant les obligations du service national :
- service militaire : un an sous les drapeaux ;
- service civil : deux ans en association ;
- insoumission : un an derrière les barreaux.
Cela, bien sûr, les libertaires, les pacifistes et les antimilitaristes ne peuvent l’accepter. Comme ils ne peuvent, non plus, accepter de rester passifs face à l’incarcération prolongée d’un des leurs. Patrick est en prison. Pour de longs mois encore. Et le pouvoir doit savoir, et comprendre, que ses amis ne l’accepteront pas. À suivre donc…

Pierre Martial