Georges Fillioud est mort ! Georges qui ?

mis en ligne le 29 septembre 2011
Il est communément admis que les articles nécrologiques, pour la plupart, n’ont tendance qu’a tresser des lauriers et à n’accorder que peu d’importance aux petits travers du cher disparu et parfois même à s’en amuser. C’est une manière de politesse, de respect et d’humilité devant ce qui nous guette. Le cadavre d’un ennemi sent toujours bon. Mais la nouvelle de la mort de Georges Fillioud il y a quelque jours, même si le personnage n’avait plus grande importance, nous donne l’occasion à la fois de déroger à la tradition qui veut qu’un mort on n’en parle pas, ou on s’en fout ou on en dit du bien, mais aussi de nous rappeler que le défunt en question n’a pas toujours été le créateur des radios libres qu’on veut essayer de nous faire croire. Loin s’en faut. Pour exemple ce petit extrait d’un article du Monde : « L’impressionnant bilan auquel il a attaché son nom – autorisation des radios libres, éclatement du monopole, création d’une instance indépendante de régulation (la Haute autorité de la communication audiovisuelle)… – et qui lui vaut (un peu tard) tant de louanges, ne souffre guère de contestation aujourd’hui. »
Eh bien si, le bilan de Georges Fillioud a valu bien des déboires à la Fédération anarchiste. Et si celle-ci put, sut et voulut créer Radio libertaire en 1981, c’est bien grâce à son acharnement, à la solidarité de dizaines et de dizaines de personnes et à leur ténacité. Imposer dans le paysage audio-visuel, parisien dans un premier temps, une voix différente et vivante, une voix qui près de trente ans plus tard n’est toujours pas prête à la fermer, n’a pas été une mince affaire. Cette voix, que Georges Fillioud et le pouvoir en place de l’époque, ni aucun autre par la suite, n’auront jamais réussi à faire taire à une belle histoire qui mérite un retour en arrière succinct.
Elles étaient pirates dès la fin des années quatre-vingt. Pirates, timides, locales, associatives, de quartiers, en attendant une hypothétique libéralisation qui pointa timidement son nez en 1981. Formidable espoir pour certains, que les militants de la Fédération anarchiste n’avaient pas attendu. En émettant depuis la Butte Montmartre à partir de septembre 1981, avec quatre élastiques et trois bouts de ficelles, quelques vinyles, mais surtout une formidable volonté et un véritable acharnement à faire un pied de nez au nouveau pouvoir si prometteur.
En fait, ce fut très vite le socialisme ou ma main dans la gueule. De tolérée qu’elle fut sur la bande FM, Radio libertaire sera rapidement une épine dans le pied de Georges Fillioud, le tout nouveau ministre de la Communication, qui ne pouvait tolérer une bande de gêneurs qui refusaient toute publicité, tout compromis et qui était arrivée une des premières sur les fréquences pas si extensibles que ça. Et de fil en aiguille, Radio libertaire s’installa. « Radio libertaire, la station anarchiste » ; « La talentueuse radio des anars » (Le Figaro Magazine) ; « Proche de la Fédération anarchiste » (Le Quotidien) ; « La radio des anars » (Le Matin). Étaient-ils choux !
Eh oui, le petit monde des radioteurs commence à nous regarder de près. Nos vieux complices d’alors Font & Val (eh oui ! Môssieur Philippe, le directeur de France Inter et de Charlie Hebdo himself et intime de Carla Bruni-Sarkozy) nous ont même crédité d’un gala de soutien le 11 novembre 1982. L’association Le Vent du Ch’min (qu’elle soit bénie) a même, le 17 janvier, loué Bobino (le vrai !) pour une soirée hommage à Gaston Couté, dont les bénéfices furent entièrement reversés à la radio. Le 30 juin, ce fut Bernard Lavilliers qui a rempli l’Olympia. S’en suivirent de multiples tentatives d’arrangements, de divorce, de réconciliation et bla bla bla et bla bla bla.
Et ce qui devait arriver arriva. Le 28 août 1983 à six heures du matin, les flics de Fillioud (le mort donc) et de Deferre (lui aussi passé ad patres) investissent nos studios de Montmartre situés au rez-de-chaussée, après s’être trompés d’étage et avoir frappé au cinquième. Ils détruisent tout ce qui se trouve sous leurs matraques socialistes, démontent et coupent le fil d’antenne.
Et ce qui devait arriver arriva. Le 3 septembre suivant une forêt de drapeaux noirs a envahi la place de la République à Paris. Cette hénaurme protestation de soutien fera reculer Fillioud et en fin de manif le légendaire petit morceau d’orgue de barbarie, l’inimitable Temps des Cerises, va se faire entendre sous les vivas. Radio libertaire émet de nouveau d’un camion, en direct, dans la rue.
Mille et unes péripétie s’en suivront. On lira avec bonheur et nostalgie le livre d’Yves Peyraut publié au moment des dix ans de la radio. Aujourd’hui, grâce à internet, Radio libertaire s’écoute partout dans le monde. Grâce soient tout de même rendue à tous ces pionniers dont je ne cite pas les noms, je n’ai que quatre mille signes.
Voilà pour la mémoire de Georges Fillioud qu’on oubliera encore une fois et pour un bon moment. Son épouse est dévastée, nous apprend un torche-cul people. Chacun son tour. Et sans rancune.