Mort du dernier Triangle rose

mis en ligne le 15 septembre 2011
Rudolf Brazda, déporté pour homosexualité par les nazis avait été fait chevalier de la Légion d’honneur en avril dernier, à son grand étonnement… Il s’est éteint cet été à l’âge de 98 ans. Ses proches ont fait paraître ce communiqué : « Rudolf s’est endormi paisiblement dans son sommeil à l’aube du 3 août, il résidait depuis le mois de juin dans un établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes, à Bantzenheim (Haut- Rhin). Conformément aux dispositions de son testament, sa dépouille sera incinérée et ses cendres déposées à côté de celles de son compagnon de vie de plus de 50 années, Édouard Mayer, décédé à Mulhouse en 2003 ».
Rudolf Brazda avait fait partie des quelque 10 000 personnes déportées sous Hitler en raison de leur orientation sexuelle, les nazis considérant l’homosexualité comme une «épidémie dangereuse pour la perpétuation de la race ». Il avait été déporté au camp de concentration de Buchenwald où il porta le triangle rose, avant de choisir de vivre en France. Né en 1913 en Saxe (Allemagne) dans une famille tchèque germanophone, Rudolf avait pris conscience de son homosexualité comme « une disposition naturelle qu’il avait accepté comme telle, conscient d’avoir eu la chance d’avoir toujours eu un compagnon à ses côtés ».
En 1937, il est condamné à six mois de prison pour « débauche entre hommes », puis expulsé vers la Tchécoslovaquie. Là, après l’annexion des Sudètes par Hitler, il est à nouveau jugé et condamné pour le même type de faits, cette fois à 14 mois de prison. Cette peine purgée, Rudolf, considéré comme un récidiviste, est interné au camp de concentration de Buchenwald, dans le centre de l’Allemagne. Il survécut à 32 mois d’enfer dans ce camp, grâce à son amitié avec un kapo communiste et à « un peu plus de chance que les autres ». Rudolf Brazda avait gardé le silence sur les motifs de sa déportation jusqu’en 2008 mais l’annonce cette année-là de l’inauguration d’un mémorial aux victimes homosexuelles du nazisme à Berlin poussa des proches à l’inciter à faire connaître son histoire.
À l’occasion de ses obsèques des militants d’Act Up ont rendu hommage à Rudolf Brazda à Paris, mais aussi à Pierre Seel, et toutes les personnes que le régime nazi a harcelé, forcé à porter le triangle rose et déportées dans des camps de concentration. Rudolf a ainsi poursuivi le travail de mémoire commencé par Pierre Seel en 1982. Il aura fallu attendre le milieu des années 2000 pour que les cérémonies officielles françaises de commémoration de la déportation commencent timidement à accepter d’évoquer les déportés homosexuels. Malgré les progrès depuis une décennie, la question est encore très peu travaillée par les historiens de l’Hexagone. La déportation des lesbiennes et des autres minorités sexuelles est encore ignorée. Comme si, à l’horreur de la déportation, il fallait encore rajouter le silence, la honte et l’oubli volontaire…
Par leurs témoignages, les survivants comme Rudolf Brazda ou Pierre Seel ont permis de combattre ce silence, cette honte et cet oubli. Et, plus que jamais, leur combat doit aujourd’hui être relayé par les militants mais aussi les historiens parce que la haine des homosexuels et des trans continue de tuer, qu’elle prenne la forme de violence individuelle, de groupes ou même d’un État. Hélas, comme les colonnes du Monde libertaire en font régulièrement état on compte encore trop de pays où le fait d’être homosexuel, lesbienne ou trans est un crime passible de la peine de mort !