Pauvre Grèce

mis en ligne le 16 juin 2011
1640GreceLa Grèce est de nouveau dans la tourmente financière après une première aide de 110 milliards d’euros en 2010, aide consentie après de nombreuses tergiversations, notamment chez les Teutons qui ne se rappellent pas avoir occupé et ruiné ce pays en 39-45. Il y a eu depuis un premier plan « d’ajustement structurel » imposé par la troïka composée du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque centrale européenne (BCE) et de l’Union européenne (UE). Toujours les mêmes recettes qui avaient fait faillite en Asie et en Amérique du Sud : réduction des salaires, privatisations, abaissement de l’âge de la retraite, augmentation des impôts et de la TVA, fin des prix réglementés, etc. Cette cure d’austérité n’a pas permis de redresser les comptes publics : 150 % du PIB comme dette, plus de 10 % de déficit budgétaire, chômage augmenté de 9 à 16 %, 300 milliards de dette privée et publique (très largement détenue par l’étranger). La Grèce a du coup impérativement besoin de 12 milliards tout de suite pour éviter la faillite. Évidemment, puisque l’austérité ne peut engendrer que la récession, ce qui rend le remboursement des dettes plus que problématique. Alors, les agences de notation s’en donnent à cœur joie et, de plus, ont mis le Portugal (78 milliards d’aide pour 2011), l’Espagne, l’Irlande (84 milliards en 2010), l’Italie. À qui le tour, en plus des « PIGS » (Portugal, Irland, Grèce, Spain) ? Soulignons aussi que la Grèce n’est plus un pays souverain et indépendant. En effet, des experts de l’Union européenne contrôlent ses comptes (budget, déficit) pour empêcher toute nouvelle fraude. De plus, ce sont les agences de notation qui gouvernent ; le pouvoir politique cherche seulement à ne pas les vexer, ce qui fait que lesdites agences sont aux manettes.
Il faut dire que les Grecs avaient poussé le bouchon assez loin : énorme évasion fiscale, travail au noir et marché noir, crédit à gogo, expansion des fonctionnaires (et de leurs salaires) à crédit, truquage des comptes publics sur la réalité des déficits avec l’aide de la banque pourrie Goldman Sachs (sous le gouvernement de droite de Caramanlis). Mais la rigueur n’a rien arrangé puisque le travail au noir et les bakchichs ont repris de plus belle. On se doit cependant de dire que les Grecs ont succombé à la tentation de l’argent facile (comme pour l’immobilier en Espagne) à cause de la mise en place de l’euro. En effet, la surface internationale de cette monnaie européenne, gérée seulement contre l’inflation, et la puissance de la zone euro considérée globalement, avaient rassuré les marchés financiers qui prêtaient alors à de très faibles taux d’intérêt. Dès lors, moult pays se sont mis à vivre à crédit avant le voyage au bout de la nuit et la mort. Parallèlement, les Germains avaient compris que l’euro fort (géré à Franc fort !) servait leurs intérêts en restant à leur main sur le Main. En effet, ils avaient (sous Schröder avec les lois Hardt, puis sous Merkel avec une TVA sociale de 3 %, ce qui correspond à une dévaluation équivalente) mené une politique de « désinflation compétitive » leur permettant d’exporter à qui mieux mieux dans les pays « cigales ». En même temps, ils avaient délocalisé (sous-traitance d’une bonne part de leur industrie dans les ex-pays de l’Est à bas salaires et, bien mieux, hors zone euro). D’où le pactole quand l’euro monte car la valeur des importations en provenance de ces pays, exprimée en euros, baisse lorsque la monnaie de ces derniers plonge. D’où les 153 milliards d’euros d’excédents de la balance commerciale tudesque en 2010. Ce que les Fridolins camouflent, c’est que les déficits commerciaux des uns se traduisent en excédents monétaires de sens inverse pour les autres. Il en résulte que les Doryphores sont devenus en fait les banquiers en dernier ressort de la zone euro : les dettes de la Grèce et consorts ne peuvent être garanties ou payées que par eux, sauf à envisager le retour au Reichsmark et la dégringolade de l’euro.
Las, le plan de 110 milliards se révèle insuffisant (et pour cause : dégâts de l’austérité imposée aux Grecs). Il leur faut 60 milliards de plus, sans doute pour faire de la cavalerie. La troïka devient de plus en plus réticente, la mère Merkel-Tapedur énonce que les cigales ne peuvent avoir plus de vacances que les autres ; ce qui est faux puisque les Grecs travaillent en moyenne 2 200 heures dans l’année et les Germains 1 350. En fait, l’UE craint de devoir choisir entre la cavalerie d’emprunts grecs jamais remboursés mais porteur d’intérêts ad vitam æternam et la « restructuration de la dette ». Was ist das ? C’est un vasistas comme petite fenêtre de sortie d’une dette écrasante : étalement de la dette dans un temps plus long (rééchelonnement) et abandon de créances au moins pour un tiers de leur valeur. Évidemment, la BCE (qui a 85 milliards d’obligations du trésor grec sur les bras) et les banquiers européens ne veulent pas de cette solution qui les mettrait en danger eux aussi ; or ces banquiers sont largement impliqués en Grèce, notamment les Français pour 17 milliards (et aussi au Portugal, en Espagne, en Italie), dont le Crédit agricole. Le non-remboursement de la dette pourrait alors entraîner une crise des liquidités en Europe. C’est pourtant ainsi que l’Argentine était sortie de l’étau qui l’étranglait. On s’orientait donc (avec DSK) vers de nouvelles aides assorties d’un renforcement de la rigueur et de la braderie du secteur public pour 50 milliards. On a vu que cela ne résoudrait rien et enfoncerait la Grèce dans la récession.
De petits malins suggèrent d’autres solutions. Par exemple, la sortie de l’euro, le retour à la drachme et la dévaluation pour booster les exportations et rembourser en roupies de sansonnet. Mauvaise idée ; en effet la Grèce n’a pas grand-chose à exporter puisque le deal passé avec l’Europe, notamment avec les Schleus, était qu’elle tue son industrie au profit du tourisme, de l’immobilier (vendu aux étrangers pour une bonne part) et des bateaux poubelles, plus quelques produits agricoles…De plus, le coût des importations serait renchéri et les prêteurs, même à un taux d’intérêt élevé, disparaîtraient de la circulation. Enfin, l’inflation serait élevée comme partout lorsque la valeur de la monnaie diminue ; ce qui efface les dettes à condition qu’elles ne soient pas détenues par l’étranger, auquel cas il faut payer plus les remboursements et les intérêts (il faut bien plus de drachmes pour acheter un euro ou un dollar). Le remède serait donc encore pire. On tremble aussi pour le Portugal qui n’exporte que du tourisme et des produits de la terre, ou l’Irlande qui ne vit que grâce aux sièges sociaux de boîtes qu’elle attire avec un taux d’impôt sur les sociétés de 12,5 % (moyenne européenne, 23 %). D’autres plaisantins disent que la Grèce n’a qu’à imposer d’autorité un abandon de créances (solution à l’Argentine) ; alors elle ne trouverait plus de prêteurs, sauf à des taux d’intérêt énormes.
Les Grecs l’ont donc dans le baba ; la seule solution sérieuse serait que la BCE puisse faire des avances aux États ou que l’UE-euro dispose d’un fonds d’aide (prévu pour 2013), ce qui est interdit par les statuts de la BCE et par le fameux pacte de stabilité passé après le traité de Maastricht. Les autres pays auraient tort de prendre les Grecs pour des victimes de leurs seules erreurs. La crise est loin d’être terminée.
D’après les experts et journaleux au service du capitalisme, la crise serait derrière nous. C’est faux. La croissance revient (1,5 % en Allemagne et 1 % en France au premier trimestre 2011). C’est du trompe-l’œil car cette embellie est due à la reconstitution des stocks des entreprises, phénomène connu et ponctuel. La consommation piétine, bien que les consommateurs aient puisé dans leur bas de laine. Le taux d’épargne repart à la hausse. La bourse est à la baisse depuis le début de l’année. Les dettes américaines sont abyssales (100 % du PIB de 15 000 milliards) ; les états-Unis font tourner la planche à billets en faisant racheter par la FED (la réserve fédérale) des bons du trésor US et des titres pourris des banques. Ils prêtent auxdites banques à 0,25 %, prêts dont elles se servent (avec effet de levier des emprunts comme dans un LBO 1) pour spéculer sur les matières premières et les produits agricoles. D’où un regain d’inflation mondiale car il y a trop de liquidités et trop de spéculation. La Chine commence progressivement à se retirer des achats de bons du trésor US pour acheter des terres et des actifs à l’étranger (dont le port du Pirée). Aux états-Unis, le chômage ne baisse guère, l’automobile repart mais grâce à des crédits de type subprime, l’immobilier est tenu en vie artificielle par les prêts de l’État. Il se peut que l’économie des états-Unis finisse par entrer en récession, ce qui entraînerait la chute du commerce mondial. Les autres pays de l’UE, comme la France, ne sont guère brillants (dette, 85 % du PIB, déficit 2011 à 8 %, déficit commercial des quatre premiers mois de 2011 à 27 milliards, plus 7 rien qu’au mois de mai).
La Grèce danse sur un volcan et ne peut s’en tirer qu’avec l’aide des autres pays, ce qui réclame une vraie politique économique, fiscale et financière commune. On en est loin car le protectionnisme redémarre et car chaque pays joue perso ; du coup le nationalisme fait florès.




1. Leveraged buy-out (LBO), terme anglais pour financement d’acquisition par emprunt. Cela consiste à racheter une entreprise en ayant recours à l’endettement bancaire en engendrant un effet de levier facilitant l’acquisition et la défiscalisation du projet. (Ndlr.)