Voulons-nous vivre dans la peur des ruines ?

mis en ligne le 24 mars 2011
1628ChesterÀ la question de l’entretien et de la sauvegarde du patrimoine – historique, culturel, artistique –, nos sociétés dites évoluées ont posé un principe intangible : la réversibilité.
En effet, les hommes et les femmes à qui est confiée la tâche essentielle de conserver la mémoire de la production humaine, se gardent, autant que possible, de tout procédé définitif.
Sage précaution. Qui sait comment les matériaux employés évolueront avec le temps ? S’ils se dégradent et viennent à mettre en danger les œuvres qu’ils étaient censés protéger, il faut pouvoir revenir sur ses pas, neutraliser les produits dont on avait mal évalué la transformation, et utiliser une nouvelle méthode qu’on jugera plus sûre et qui sera, elle-même, susceptible d’être revue et corrigée.
Dans un lointain passé, bien avant l’avènement des conservatoires divers – témoins et miroirs de l’évolution des hommes –, les sociétés dites primitives furent confrontées à la question de leur propre sauvegarde. Aux êtres vulnérables, vêtus de peaux de bêtes, réfugiés en quelques grottes et autres habitats précaires, exposés à la rigueur hostile des éléments, la nature offrit le feu.
Peu à peu, nos ancêtres le domestiquèrent. On put se chauffer, cuire ses aliments, s’éclairer, transformer les matériaux. Cette maîtrise fut acquise pour le meilleur et pour le pire. Le soc de la charrue et l’épée du guerrier, forgés au même foyer incandescent, nous rappellent que le contrôle de l’énergie n’est rien sans un projet de société solide.
Reste qu’il n’est nul incendie qu’on n’ait su éteindre.
Et qu’il n’appartient qu’aux hommes épris de liberté, soucieux d’égalité et conscients de leurs liens de solidarité, de choisir leur voie entre l’âtre ou l’autodafé.
En pleine révolution espagnole, alors que les canons et les bombes semaient la destruction au pays de Cervantès et que le fascisme fécondait un peu partout en Europe, Durruti sut trouver les mots pour opposer, au cynisme stérile de la bourgeoisie, les forces créatrices du prolétariat. Dans un discours laissé à la mémoire des anarchistes, il déclara, en substance : « Nous, les travailleurs, nous pouvons bâtir des villes pour les remplacer. Et nous les construirons bien mieux ; aussi nous n’avons pas peur des ruines. Nous allons recevoir le monde en héritage. La bourgeoisie peut bien faire sauter et démolir son monde à elle avant de quitter la scène de l’histoire. Nous portons un monde nouveau dans nos cœurs. »
Brave Durruti, te doutais-tu que quelques années plus tard, la science instrumentalisée par le pouvoir apporterait un dramatique bémol à ta généreuse prophétie ?
Commandée, en toute hâte, par l’impérieux besoin des puissants à acquérir, rapidement, une sacro-sainte « indépendance énergétique » autant qu’une redoutable « force de dissuasion », l’aventure nucléaire a semé, depuis, de trop nombreux épouvantails.
Ironie de l’histoire, c’est le pays qui, le premier et le seul, fit brutalement connaissance avec les ravages de l’atome, avant de devenir l’un des temples les plus représentatifs du capitalisme frénétique et de la consommation de masse, c’est le Japon, donc, qui aujourd’hui connaît une catastrophe dont nul n’est actuellement capable de mesurer la portée.
On sait seulement que la situation est extrêmement grave. Et l’on peut raisonnablement prévoir, pour les prochaines années, une dépréciation des prestations touristiques à destination du pays du Soleil levant, et espérer de sérieux progrès dans le traitement du cancer.
Un peu partout, et particulièrement en France, les hérauts du tout nucléaire tâchent de faire partager une vision rassurante, voire optimiste, de leur choix en matière énergétique. Il est dit, entre autres fumisteries, qu’à la pire des situations possibles, on a prévu un niveau de sécurité supplémentaire.
Mais qui peut prévoir le pire ?
Un séisme de forte amplitude constituait-il un accident géologique complètement inédit ?
Le tsunami qui en fut la conséquence était-il un phénomène naturel aberrant ?
Un archipel habité – et assez considérablement nucléarisé – a-t-il commis l’impossible erreur de se trouver sur la trajectoire d’une vague aussi haute qu’un immeuble ?
Quelque part dans un univers traversé d’innombrables corps célestes, sur une planète soumise aux lois non négociables de la géophysique, des types sans scrupule ont choisi de bâtir des centrales nucléaires périssables et de faire circuler, par voies terrestre et maritime, des déchets radioactifs avant de les enterrer en zones habitées. Selon la stricte règle des probabilités, d’autres catastrophes nous attendent. C’est mathématique.
À celles et ceux qui s’inquiètent et protestent contre les dangers de la chaîne de production nucléaire – les déchets en sont l’une des preuves peut-être provisoires, mais bien réelles et toujours sans solution –, ces mêmes types sans scrupule répondent par le mépris, quand ce n’est pas par la force. Ainsi peut-on mesurer le niveau de notre civilisation où quelques-uns osent des paris mortels sur l’avenir de tous. Or, l’énergie, condition de notre survie, doit être de notre responsabilité, à chacun.
Hélas, nous sommes placés devant le fait nucléaire accompli. Et des sites dévastés qui, pour des millénaires, distillent une mort invisible et silencieuse, nous ne pouvons affirmer que nous ne craignons rien.
Mais, pour sortir de cette société qui veille avec un soin jaloux à son patrimoine au milieu d’un champ truffé de bombes à retardement, tout est affaire de priorité. Avant de régler la question des centrales atomiques, commençons par nous attaquer, pour l’abattre, au pouvoir qui les réalise.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


sinziana

le 29 mars 2011
"Avant de régler la question des centrales atomiques, commençons par nous attaquer, pour l’abattre, au pouvoir qui les réalise."

Oui! Attaquer le problème à sa racine.

" [...] l’énergie, condition de notre survie, doit être de notre responsabilité, à chacun."

Oui! sauf que cela me semble maladroitement formulé. Il ne s'agit pas de réduire l'humanité à la "survie" mais de lui permettre de vivre tout simplement, avec toute la richesse culturelle dont elle est capable (et dont nos lointains ancêtres - "êtres vulnérables"? - étaient déjà capables). Il faut le dire et le redire: nous n'avons pas besoin de centrales nucléaires, ni même de pétrole, pour vivre tous ensemble une vie riche, abondante et joyeuse. Nous n'avons pas besoin de tant d'énergie!