Russie, la bataille de Khimki

mis en ligne le 2 décembre 2010
Suite à la mobilisation de la population, le gouvernement russe a annoncé la suspension du projet d’autoroute entre Moscou et Saint Petersbourg, qui devait passer à travers la forêt de Khimki, dans la banlieue de Moscou.
Cet été, un campement d’opposants au projet de la première autoroute privée de Russie et au chantier, qui devait détruire 144 hectares de cette forêt en périphérie de Moscou, a été attaqué. D’autres actions se sont déroulées cet été, notamment une manifestation et un meeting/concert le 22 août à Moscou, en partie saboté par les autorités, mais qui a été un vrai succès : plus de 2000 participants, ce qui est devenu rare dans la Russie de Poutine et Cie.
Face à l’ampleur de la contestation qui a rassemblé un large panel d’opposants au régime, le pouvoir russe a donc reculé. C’est donc une belle victoire qui pourrait encourager les multiples mouvements dans le monde qui luttent contre les projets d’infrastructures néfastes s’imposant à la population par l’arbitraire de l’État et la corruption.
Le 28 juillet au soir, plus de 500 jeunes s’attaquaient à la mairie de Khimki. La bataille des habitants de Khimki, appuyés par les écologistes et les militants politiques d’opposition, dure depuis des années. Procès, lettres ouvertes aux autorités, pétition signée par plus de 8 000 personnes, rassemblements, manifestations – tous les moyens ont déjà été utilisés pour obtenir une révision du tracé de l’autoroute, afin de préserver la forêt, ceinture verte autour de la capitale. Dès le lendemain de l’attaque de la mairie, deux jeunes étaient arrêtés, Alexeï Gaskarov et Maxim Solopov. Le protocole d’arrestation indique qu’ils auraient été « pris sur les lieux du crime ». En fait, de nombreux témoignages indiquent qu’ils se sont rendus eux-mêmes volontairement à un énième entretien avec les représentants des forces de l’ordre qui les connaissent depuis longtemps comme quelques-uns des rares antifascistes acceptant le dialogue avec la police et manifestant publiquement leurs opinions. Résultat des courses : Gaskarov et Solopov vont passer deux mois en prison en réclusion préventive. Ils sont accusés d’« actes de vandalisme perpétrés par un groupe ayant prémédité ses actes » (article du Code pénal prévoyant jusqu’à sept ans de prison). Les avocats parlent de faux témoignages à charge. Les militants du mouvement antifasciste déclarent que Gaskarov et Solopov ont été choisis comme boucs émissaires pour l’unique raison qu’ils sont les figures les plus connues du mouvement. Les collègues de Gaskarov, qui collabore aux activités de l’Institut action collective et couvrait les événements de Khimki pour cette agence d’information militante, insistent sur l’engagement d’Alexeï pour les actions non-violentes et la propagande pacifiste de l’antiracisme et de l’anticapitalisme. Tout porte à croire qu’il s’agit d’une affaire pénale fabriquée pour des raisons politiques. Mais la pression va croissante, tant sur les habitants les plus actifs de Khimki que sur les militants écologistes et ceux du mouvement antifasciste, anticapitaliste ou d’opposition. La police multiplie les perquisitions plus ou moins légales, y compris au siège des médias à la ligne trop « sympathisante » pour les « voyous » (notamment, Kommersant, Novaïa Gazeta, Svobodnaïa Pressa), de nombreux militants témoignent de coups de téléphone assortis de menaces et certains ont été littéralement kidnappés chez eux pour être forcés à témoigner.
Le 17 septembre ont débuté les journées internationales de solidarité avec Alexeï Gaskarov et Maxim Solopov, initiées par la Campagne pour la libération des otages de Khimki. C’est une volonté indépendante qui comprend des militants sociaux et syndicaux du mouvement antifasciste et de la gauche antiautoritaire.
Aujourd’hui, les deux militants ont été libéré mais ils risquent encore sept ans de prison. Le 2 novembre, au centre de presse indépendant à Moscou, ils ont raconté aux médias de nouveaux détails à propos de leur détention et quel en serait le dénouement possible. La conférence de presse a été organisée par Bashinova Julia, militante du Groupe de jeunesse de la défense des droits de l’homme, une des organisateurs de la campagne pour la défense des otages de Khimki. En parlant des conséquences de l’action à Khimki, Alexeï Gaskarov a noté que celle-ci a créé de nombreux problèmes pour les antifascistes, mais que dans le même temps elle a donné naissance à de nouvelles attentes dans la société : « Après cet incident, de nombreux antifascistes ont été interpellés par la police. Mais sur l’espace politique de la Russie, cette histoire a eu une influence positive. Des sondages ont montré que 80 % de la population soutiennent clairement l’action contre l’administration de Khimki. Tout le monde a vu ce qui pouvait arriver si les autorités ne permettaient pas l’organisation de manifestations légales. J’ai, avec d’autres membres de l’Institut action collective, participé aux sondages de la population concernant les activités de protestation des citoyens. Il se trouve que les gens ne vont pas aux rassemblements non pas parce que tout le monde est heureux mais parce qu’ils ne croient pas en l’efficacité de telles actions. Il me semble que Medvedev a annulé la décision de construire l’autoroute à travers la forêt de Khimki justement suite aux événements devant l’administration de Khimki. Le mouvement antifasciste n’est pas simplement un rassemblement de jeunes qui ne cherchent qu’à se bagarrer avec les fascistes. Il y a beaucoup de gens de gauche, qui s’intéressent à d’autres problèmes importants. La forêt de Khimki n’est pas seulement un conflit local. Elle est le symbole de tout ce qui se passe ces dernières années en Russie », – a dit Alexeï Gaskarov.

Traduction : Natalia