Appel du « 18 joint »

mis en ligne le 17 juin 1993
Le Monde libertaire : Peux-tu nous raconter l’histoire de « Fumée clandestine » ?

Jean-Pierre Galland : Ce fut une belle aventure. Le jour où j’ai signé le contrat avec les éditions Ramsay, j’avais une idée assez précise du livre que je voulais écrire. Le cannabis étant une grande famille, nombreux sont ceux qui m’ont proposé des textes et des dessins. J’ai demandé à d’autres, des amateurs éclairés, de travailler pour le fun sur certains sujets spécifiques liés au cannabis.
Le livre est paru en mars 1991, et à quelques erreurs près, à force de travail et de nuits blanches, vu le peu de moyens dont nous disposions, pouvait-on faire mieux ?
Avant que les éditions Ramsay ne disparaissent corps et biens, 12 000 exemplaires de Fumée clandestine se sont vendus, des photocopies ont circulé, des rumeurs aussi. Fumée clandestine est un livre qui tourne comme un pétard. Aujourd’hui, il a été réédité par les éditions du Lézard qui, associées avec le CIRC, organisent la Journée internationale d’information sur le cannabis à Paris, le 18 juin.

Le Monde libertaire : Quelle est l’histoire du chanvre ?

Jean-Pierre Galland : Le chanvre est employé depuis la nuit des temps. Il a joué, bien avant notre ère, particulièrement en Chine, un rôle médical important. Puis l’Inde, que ce soit au sud bouddhique ou au nord musulman, découvre les vertus psychotropes du chanvre, lequel, sans doute en partie à cause de l’interdit prononcé par le Coran sur l’alcool, s’est propagé dans le monde musulman, lequel a inventé le haschich.
La France, qui connaissait le chanvre comme en témoignent les écrits de Rabelais, s’intéresse à ses vertus psychotropes au 19e siècle. De nombreux savants ont, en effet, suivi Napoléon lors de sa campagne d’Egypte. Les uns se sont penchés sur les pyramides et les autres sur la variété indienne du cannabis qui poussait en abondance dans le lit du Nil asséché.
Qu’ils soient médecins, pharmaciens, aliénistes comme Joseph Moreau de Tours, auteur d’un ouvrage remarquable, « Du Haschich et de l’aliénation mentale », ils étaient tous persuadés que le cannabis avait un avenir en tant que médicament. Ils se sont trompés.

Le Monde libertaire : Pourquoi le droit s’empare-t-il du cannabis ?

Jean-Pierre Galland : Il était une fois l’Amérique. La prohibition a été un échec cuisant. Un dénommé Harry Anslinger, lequel a épousé la nièce du ministre des Finances, est nommé à la tête du bureau des narcotiques. Disposant d’une enveloppe de 100 000 dollars, fournis par son oncle, il lance alors un concours pour les journalistes de presse à sensation. Cela a donné un livre : Marijuana, assassin de la jeunesse, où l’on pouvait lire des abominations sur le chanvre, lequel était consommé plus particulièrement par les Mexicains et les musiciens noirs de jazz, comme par hasard.
En 1937, était voté le Marijuana Tax Act, et jusqu’en 1961, Harry Anslinger va se battre pour imposer la prohibition mondiale du cannabis.

Le Monde libertaire : Quelles sont les lois françaises en la matière ?

Jean-Pierre Galland : La France partage avec le Luxembourg le triste privilège d’être le seul pays européen à punir l’usage du cannabis. Qui est pris avec un joint risque un mois à un an de prison et/ou 500 à 15 000 F d’amende. Cet article de loi est en contradiction avec l’article 4 de la déclaration des Droits de l’homme : « La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », car qui fume un pétard chez lui ne nuit qu’à lui-même, et ça reste à prouver.
L’usager trafiquant est devenu « un être juridique hybride », et tant que ne sera pas fixé un seuil quant à l’usage, mesure déjà demandée par Monique Pelletier en 1978, on continuera à confondre usager détenteur et trafiquant, lequel risque de très lourdes peines. Quant à l’article L630, il punit la provocation et la présentation sous un jour favorable. Donc, en théorie, on n’a pas le droit de trouver des vertus au cannabis, mais que deviendrait la liberté de la presse si cette loi était appliquée ?
Pour « cause de drogue », la police peut débarquer chez vous à toute heure et vous placer en garde à vue pour 72 heures. Les douaniers vous taxent pour quelques grammes de haschich, et parfois sans donner de reçu.

Le Monde libertaire : Existe-t-il une classification ?

Jean-Pierre Galland : Il existe différentes classifications. Celle de Monique Pelletier, par exemple. Cette classification tient compte de la dépendance et de la tolérance. Le cannabis est, en compagnie du LSD, de la mescaline et de la psilocybine, classé parmi les drogues les moins nocives. Quant au haschich, il vient juste après, bien avant l’alcool, considéré comme une drogue très dangereuse.
La classification juridique proposée par la Convention unique est plus « hard ». Le haschich partage les honneurs du tableau 1 avec l’héroïne et la cocaïne. On retrouve le cannabis au tableau 4 avec les drogues, dont les vertus thérapeutiques sont nulles… Et la France, comme nombre d’autres pays, a signé la Convention unique.

Le Monde libertaire : Quels sont les effets du cannabis ?

Jean-Pierre Galland : Il est difficile de parler des effets du cannabis. Certains l’utiliseront pour déstresser après une rude journée de boulot. D’autres ne fumeront qu’avec des potes… À chaque personnalité correspond un usage particulier.
Cependant, on ne trouve plus (ou presque plus), sur le marché clandestin, que du haschich frelaté. Et la colle, la paraffine et autres produits sont paradoxalement plus nocifs que le cannabis lui-même.

Le Monde libertaire : Quelle est la situation en Europe ?

Jean-Pierre Galland : Il y a en Europe un pays que tous les autres montrent du doigt, mais contrairement aux idées reçues, la Hollande n’est pas « La Mecque de la drogue ». L’usage n’est certes plus criminalisé, mais le trafic est puni. Après moult réflexions, la Hollande a inventé avec les coffee shops un système inédit qui marche bien, puisque les statistiques le prouvent, l’usage du cannabis chez les jeunes a diminué au cours de ces dernières années.
Le plus grand ennemi de la Hollande est la France, symbole de l’immobilisme et de la répression au petit malheur la chance.

Le Monde libertaire : Peux-tu nous parler du CIRC et du nouvel Appel du « 18 joint » ?

Jean-Pierre Galland : Le CIRC, depuis sa création en octobre 1991, a tenté d’intervenir chaque fois que l’actualité cannabique l’exigeait, mais en vain. C’est pourquoi nous avons décidé de relancer l’Appel du « 18 joint », texte paru en 1976 à l’initiative de quelques journalistes de Libération, et associés aux éditions du Lézard, d’organiser la journée internationale d’information sur le cannabis. Cette journée, qui regroupera des intervenants du monde entier, dont Jack Herer, auteur d’un livre que nous avons traduit pour l’occasion, a pour objectif d’ouvrir au plus vite le débat sur la place du cannabis dans notre société.
Cette journée devrait être suivie d’un concert, mais le directeur de la salle privée que nous avions louée, nous a avertis que pour cause de nuisances, le concert n’aurait pas lieu.

Le Monde libertaire : Quels sont les buts du CRIC ?

Jean-Pierre Galland : La vocation du CIRC est d’informer sur la réalité du cannabis, et qui réfléchit un tant soit peu, ne peut que demander une dépénalisation de l’usage, de la vente et de la production du cannabis. Ensuite, ce sera à nous, les usagers, d’imposer un système de légalisation. De type associatif ? Sous forme de coopératives ? Nous devons y réfléchir tous ensemble, non ?


Propos recueillis par Régis Balry (groupe FA du Mans)