RSA : Roupie de Sansonnet Anémique

mis en ligne le 8 octobre 2009
Le bonheur règne dans la jeunesse. Dans les chambres de bonne de 9 mètres carrés avec robinet sur le palier, on danse. Dans les F2 en colocation à six, on frémit. Dans les chambres chez maman pour garçonnet de 30 ans, on jubile. Dans les stages à 103 euros par mois, on se pâme. Car on sait à présent que le cœur de Nicolas Sarkozy saigne devant les souffrances des jeunes : ceux qui travaillent plus pour gagner moins, ceux qui travaillent beaucoup pour gagner rien, sans parler de ceux qui, ne travaillant pas, ne gagnent pas. Nicolas Sarkozy a longuement médité. Il a décidé de frapper un grand coup. D’étonner l’Univers par sa générosité. Il veut étendre le RSA aux jeunes de 18 à 24 ans.
Je le confesse, je n’ai guère suivi l’actualité ces derniers temps. Un peu ermite. Quand on m’a annoncé que Nicolas Sarkozy, souhaitant le bonheur des jeunes, voulait étendre le RSA aux jeunes de 18 à 24 ans, je me suis demandé ce que signifiait cette phrase. Ah, j’y suis ! Nicolas Sarkozy va interdire tous les stages qui enlèvent du travail aux vieux sans donner un salaire aux jeunes. Oui, mais quand j’ai proposé d’écrire ça, on m’a glissé : les copains de Merlieux pensent ériger une statue. Légende : « à Potkine, l’anarchiste le plus bête de l’histoire. » Devant ce subtil signal, je me suis dit qu’il fallait réfléchir un peu plus. Ah, j’y suis ! Nicolas Sarkozy va donner du travail à tous les jeunes de 18 à 24 ans. Oui, mais quand j’ai proposé d’écrire ça, on m’a glissé : à la porte de la bibliothèque La Rue, une affiche demande « Estimez le nombre de neurones de Potkine ». Et dessous, il n’y avait que ceci : « Deux et demi ? » Que voulez-vous ? J’ai encore réfléchi ! Ah, j’y suis ! Nicolas Sarkozy va donner à tous les jeunes de 18 à 24 ans 1 000 euros par mois, sans questions, sans formulaires, pris sur l’argent de poche de Bernard Arnault. Oui, mais quand j’ai proposé d’écrire ça, j’ai vu le projet de une du Monde libertaire : « Potkine est-il un concombre acéphale ? » Un concombre, pas un cornichon, notez-le.
J’ai réfléchi encore plus. Le RSA. Revenu de solidarité active. Un revenu. Solidaire. Actif. Bref, quelque chose qui vous permet de vivre (un revenu). Surtout si on est pauvre et sans travail (solidaire). Qui vous redonne l’envie de contribuer à la vie commune (actif). Le RSA remplace le RMI ; le gouvernement estime que l’avantage moyen du RSA par rapport au RMI devrait représenter environ 110 euros par mois. Oui, vous avez bien lu. 110 euros par mois. Pas 52 euros, pas 64 euros par mois, mais 110. Certes, le RMI n’a jamais été un revenu (définition : qui permet de vivre). Il permettait d’acheter un ou deux caddies entiers de pesticides, fongicides, herbicides, légumes irradiés et poulets javellisés chez Liedl, mais vivre, non. Eh bien, avec les 110 euros de plus du RSA, on pourra acheter trois caddies de fongicides ! Quant à donner un revenu à ceux qui sont sans travail, le RSA pour jeunes de 18 à 24 ans ne sera étendu qu’aux jeunes qui auraient travaillé au moins deux ans pendant les trois dernières années. Ou travaillé 3 600 heures sur trois ans. Ah. Pour avoir des carottes, il faut savoir jouer de la flûte. Pour être admis au bac, il faut peser 52 kg. Pour jouer à la marelle, il faut savoir éplucher les concombres (acéphales). Pour aider les sans-travail, il faut d’abord qu’ils aient travaillé. Pour aider les Papous, il faut d’abord qu’ils soient des Eskimos. Le lien logique m’échappe.
Je me suis dit : il faut que je demande à des experts. J’ai donc pris mon courage à deux mains et j’ai téléphoné à Laurence. Vous savez, la patronne du Medef. On m’a répondu « Allô, ici la CFDT ! ». J’ai raccroché. J’ai téléphoné à Bernard Thibaut, vous savez, le chef de file de la classe ouvrière. On m’a répondu « Monsieur Thibaut n’est pas là, il joue au golf avec François Pinault ». Je n’avais plus qu’une seule solution. J’ai pris mon sac à dos, je l’ai bourré de provisions pour sept mois, et je suis allé faire la queue à la Poste. Neuf mois plus tard (j’ai tenu très facilement, les gens sont habitués, personne ne va plus à la Poste sans un an de provisions, il faut être un ermite dans mon genre pour ne pas y penser), j’ai été reçu par le conseiller financier. Il n’y a plus beaucoup d’employés au groupe La Poste parce que sinon personne ne voudra l’acheter, mais des conseillers financiers, pas d’inquiétude, il en restera toujours ! Avec un titre pareil, comment ne saurait-il pas ce que signifie la phrase « étendre le RSA aux jeunes de 18 à 24 ans qui ont travaillé deux ans sur les trois dernières années et savent éplucher des concombres (acéphales) » ? Vous savez ce qu’il m’a répondu ? « Moi non plus je n’y comprends rien, mais allez frapper à la porte d’à côté. » Je frappe à la porte d’à côté, où est écrit « Directeur de la communication ». J’ouvre la porte. Le monsieur avait un drôle de couvre-chef, à l’indienne. Il tenait une baguette devant une table recouverte d’une jolie nappe rouge avec des paillettes. Sur la table, il y avait un lapin blanc et un haut-de-forme noir. Il essayait de téléporter le lapin blanc dans le haut-de-forme noir (à moins que ce ne soit l’inverse, téléporter le haut-de-forme noir dans le lapin blanc) et il murmurait « RSA, RSA, CSG, CRS, CRS, RSA, RSA, CSG », et il poussait de temps en temps un grand cri : « CPE ! CPE ! » Mais le lapin blanc restait à côté du haut-de-forme noir en regardant le monsieur de son petit œil de lapin. J’ai refermé la porte et je suis reparti.
Je ne comprends toujours pas, mais si j’étais Nicolas Sarkozy, je me méfierais. Le MJS, le Mouvement des jeunes socialistes, a prévenu que l’on verrait des manifestations aussi énormes que contre le CPE. Or, quand on est un mouvement des jeunes, on est déjà très contestataire ; mais socialistes en plus, alors là le Grand Soir est pour demain matin.