Prison de Rouen : l’État condamné

mis en ligne le 28 juin 2010

Monde libertaire : Peux-tu nous expliquer les faits ?

Nicole : Étienne Noël, avocat à Rouen, se bat depuis de nombreuses années contre les conditions de détention et pour le droit des familles et des proches des personnes incarcérées. Depuis quelques années, il dépose des plaintes de détenus concernant les conditions de détention de la prison de Rouen, une vieille prison qui date de 1864. Cyniquement baptisée Bonne Nouvelle, il s’agit d’une maison d’arrêt de 650 places qui « accueille » entre 700 et 850 personnes, principalement pour des détentions provisoires ou des courtes peines. Ces plaintes ne sont donc pas nouvelles et, depuis 2008, les tribunaux administratifs de Rouen, Nantes et Caen ont déjà accordé des indemnités pour des requêtes du même ordre. Depuis la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, le service public pénitentiaire doit garantir le respect de la personne humaine de chaque détenu. Or, la maison d’arrêt de Rouen ne garantissant pas ce respect, Maître Noël et trente-huit détenus ont porté plainte contre leurs conditions d’incarcération actuelles : surpopulation, conditions d’hygiène déplorables, salubrité, non-respect de l’intimité, etc.

ML : La maison d’arrêt de Rouen a déjà été condamnée pour des affaires similaires par le Comité de prévention de la torture. Comment se fait-il alors que les conditions de détention n’ont toujours pas été améliorées ?

N : En fait, ils ne peuvent strictement rien entreprendre, à part de faire jouer le numerus clausus qui existe dans certaines prisons européennes : quand il n’y a plus de places, on ne remplit plus.

ML : Quelles sont réellement les conditions de détention, dans la théorie et dans la pratique ?

N : Théoriquement, le Comité de prévention de la torture recommande un espace disponible minimal de 7 m² par détenu. En 2000, un rapport de l’Assemblée déterminait qu’une cellule de 11 m² ne pouvait accueillir qu’un seul détenu et que l’absence d’hygiène, d’aération et de séparation des toilettes constituait une humiliation. Une expertise du 24 janvier 2006 avait souligné le risque de transmission interhumaine de germes pathogènes d’origine fécale et bronchopulmonaire. Mais, concrètement, ces mesures sont inapplicables. Dans les faits, on trouve jusqu’à quatre personnes pour une cellule de 9 m². Des matelas sont posés par terre (sans sommiers) et les portions de nourriture sont réduites du fait d’une supropulation de plus en plus importante.

ML : Que représente pour toi cette condamnation de l’État ?

N : Dans les années 1970, les luttes anticarcérales étaient collectives. Les révoltes, les mutineries, les refus de monter de promenade, l’occupation des toits étaient des pratiques courantes dans la militance anticarcérale. Mais, aujourd’hui, d’autres armes sont utilisées par les détenus, notamment le droit. Cette condamnation en est la preuve. Mais, on doit tout de même saluer le combat de ces prisonniers avec l’avocat Étienne Noël car, malgré tout, il s’agit d’une certaine forme de déconstruction de la prison. Car, si cette pratique se répand, l’administration pénitentiaire – qui a déjà des problèmes de financement et qui est au bord de la faillite – ne pourra plus assumer les sommes qui lui sont demandées et qui, dans le cas de la prison de Rouen, vont de 350 à 17 500 euros. L’avocat ne demande, quant à lui, que 123 euros à chaque détenu pour ouvrir une procédure.

ML : Et en tant qu’anarchiste, qu’en penses-tu ?

N : D’un point de vue immédiat, c’est déjà ça. On ne crachera pas sur une amélioration des conditions de vie quotidienne des détenus. Toutefois, c’est très loin d’être suffisant et, nous autres anarchistes, nous nous battons pour l’abolition de la prison et de toute forme d’enfermement. Comme le disait Victor Hugo : « Ouvre une école, ferme une prison ! »