Égoïsme : sida, prévention, individualisme

mis en ligne le 22 avril 2010
Après avoir vécu une héroïque période de solidarité et de lutte, qui démontre à quel point l’être humain, devant un péril grave, est capable de revenir au meilleur de lui-même, le monde du sida, en France et ailleurs, vit une crise grave dont les ferments remontent à une dizaine d’années, quand des écrivains de qualité inégale (Guillaume Dustan, Éric Rémes) sont devenus la vitrine du sexe non protégé en France. Ils s’appuyaient sur un mouvement mondial interne au monde gay, un ras-le-bol devant les injonctions à mettre le préservatif, qui n’a pu s’exprimer ouvertement qu’après l’arrivée des trithérapies.
Quand les gens mourraient en série, évidemment il y avait des pratiques contaminantes, mais qui s’en vantait ? « On ne meurt plus du sida », lâchait le malheureux Guillaume Dustan à la télévision. Dans une de ses « autofictions », son héros faisait l’amour à un autre gay dans une backroom, et retirait le préservatif à l’insu de son partenaire. « J’irai en enfer », concluait-il. Dans un autre livre, il comparait les gays qui s’acharnaient à promouvoir la prévention aux juifs kapos des camps d’extermination…
Qui pouvait prendre au sérieux les thèses de cet écorché vif, égotiste, bourgeois, jouant les rebelles après être passé par l’Ena, ancien juge colonial à Tahiti promu roi de la transgression dans les médias parisiens ? En public il résumait ainsi sa doxa : « Personne ne fait rien pour personne. » Facile à dire quand la Sécurité sociale et ses cotisants vous offrent vos médicaments chaque mois. Et quel oubli des combats pour que lui – et les autres – bénéficient de ces médicaments… Pas la peine de lui parler de ceux qui, ailleurs, mourraient faute de traitements. « Les Africains ce n’est pas le sida qui les tue, c’est la magie noire » ou encore : « Les Africains qui s’enculent sous les bananiers… » Dustan voulait à tout prix qu’on parle de lui avant qu’il ne meure.
Aujourd’hui, érostrate ne met pas le feu au temple d’Artémis d’Éphèse pour que son nom passe à la postérité, c’est lui-même qu’il incendie. Dustan est mort et je pense que ceux qui ont fait sa promotion dans les médias, ceux qui ont encouragé son délire destructeur ont une part de responsabilité. Avec Georges Brassens on pourrait dire que « le bare-back (sexualité sans capote) ne paie plus », médiatiquement. En revanche, dans les établissements parisiens, 30 % des homos sont séropos, avec 7 % de plus par an.

« On ne meurt plus du sida »…
... mais c’est redevenu une maladie honteuse !
Les trithérapies ont sauvé beaucoup de vies, en sauvent toujours (pas assez puisque des millions de personnes n’y ont pas accès dans le monde). Mais le sida est redevenu une maladie honteuse. Mourir du sida aujourd’hui, c’est quelque chose qu’il faut cacher. Au plus fort de la catastrophe, c’était un acte militant de publier la cause des décès. Aujourd’hui, les gens meurent de cancer ou de tuberculose mais on ne dit pas que derrière il y avait le sida. Avec l’arrivée des trithérapies – et Dustan, Rémes & Co n’en étaient que l’écho –, toutes sortes de pratiques ont remonté. Statistiquement c’est vérifiable, cela se chiffre en contaminations. Après le temps des solidarités est venu celui de l’égoïsme. « Si l’autre ne se protège pas, ce n’est pas à moi de le protéger. » Le pire pour nous, c’est que ça se fait au nom de principes libertaires dévoyés. Chez des ultras du « no-capote » comme Warning (un mini-groupe internet en passe de prendre du pouvoir sur Aides), l’usage du préservatif est montré du doigt comme « un outil de contrôle social » (comme d’autres sectataires refusent la vaccination), baiser sans capote c’est « radical »

Le « moi, moi, moi » des gays
À travers ce monde gay, qui après une vraie épopée de solidarité (mais pas que chez les gays) se replie dans le « moi, moi, moi », se profile, sinistre, la figure de l’égoïsme contemporain… « Ce n’est pas à moi de protéger mes amants séronégatifs qui ne veulent pas se protéger. » Des phrases pareilles, que l’on rencontre sur les forums spécialisés, vous donnent le frisson. Et si ce mépris de l’autre n’était que le reflet d’un mépris de soi ?
Une véritable psychose du préservatif s’est mise en place. Le monde LGBT (lesbiennes, gays, bis et trans) aime bien coller des phobies partout, mais qui a reconnu la « présophobie », la haine du préservatif ? Une formulation comme « autant mettre sa bite dans un bunker » relève de l’irrationnel pur : comparer un tiers de millimètre de latex avec des tonnes de béton, cela mérite que les chercheurs se penchent là-dessus. Est-ce que certains homos ont fini par identifier le préservatif aux discriminations dont ils sont victimes ou s’agit-il de pulsions sadiques ?
Qu’Aides fasse des ateliers pour que les sectataires du sexe à risque, particulièrement touchés par les dommages collatéraux de ces pratiques, se soignent, pourquoi pas… Que l’affiche de promotion mette en avant « Nokapote = plaisir » et qu’on y fasse la promotion des rapports contaminants, c’est effarant ! Rien de pire que les renégats. Partis d’Act-Up Paris avec Didier Lestrade pour pourfendre les contaminateurs gays, deux intrigants se sont débarrassés de lui pour changer leur fusil d’épaule. Ils ont fondé un site internet, Warning, qui, au nom d’une prévention plus in, fait la guerre aux « tradipréventionnistes » qui continuent de mettre le préservatif en avant. Avec Warning, il semble que le pivot de la prévention ait changé : le plus important n’est plus d’enrayer l’épidémie, mais d’aider au confort moral des bare-backers, les sectataires du sexe non protégé. Les textes présents sur leur site seraient désopilants si leurs conséquences ne se chiffraient pas par un surcroît de contamination… Dès le début, ils jouaient franc-jeu en invitant – au frais de la mairie de Paris – Tony Valenza, un (joli) imbécile (qualifié de « poster boy pour le sexe à risque » aux États-Unis). Payer un voyage et un séjour à Paris à un type qui fait sa conférence sur le thème « quel plaisir de sentir du foutre dans mon cul », les bras vous en tombent… Sous drogue, raconte-t-il, « il avait presque vu Dieu » !
L’État subventionne également un site où on vous explique qu’il n’y a pas de jugement à avoir sur un séropo qui baise sans capote, même avec des séronégatifs ! L’addition de tout ce laisser-aller c’est que 20 % des « séronautes » de Seronet se déclarent infectés conjointement par le HIV et par des hépatites (le chiffre est à revoir à la hausse). Il y a toujours eu des « dénialistes » du sida. La chose terrible c’est qu’aujourd’hui, les dénialistes sont salariés à l’intérieur de la sidacratie, « ce bassin d’emploi ». Comment faire comprendre aux séropos que la liberté ce n’est pas « un chauffeur de ramassage scolaire qui remonte une autoroute en sens contraire après avoir bu trois litres de vodka » ?!

Hélène Schwartz
Ancienne militante du Front homosexuel d’action révolutionnaire et présidente de la commission trans d’Act Up Paris.