Fusillés deux fois pour l’exemple

mis en ligne le 26 novembre 2009

Ce 11 novembre, comme chaque année, nous nous retrouvons autour du monument aux morts pacifiste de Gentioux pour condamner collectivement toutes les guerres, quelles qu’elles soient.

Et, comme chaque fois, certains entament leur couplet pour demander la réhabilitation des fusillés pour l’exemple, aux côtés de grands pacifistes comme Lionel Jospin en 1998, Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État aux Anciens Combattants, en 2008, ou du conseil général de l’Aisne qui va jusqu’à proposer un voeu « pour la reconnaissance des soldats condamnés pour l’exemple comme combattants de la Grande Guerre à part entière ».

La Libre Pensée, l’ARAC (une association d’anciens combattants proche du PC), la Ligue des droits de l’homme et l’Union pacifiste de France, militent dans ce sens depuis plusieurs années.

La LDH annonce ainsi en novembre 2008 : « La Ligue des droits de l’homme demande que la réhabilitation des fusillés pour l’exemple victimes de condamnations arbitraires des tribunaux militaires soit poursuivie, pour que justice soit rendue à ces hommes et que leur mémoire sorte de l’oubli.»

Drôle d’ambiguïté ! En quoi leur réhabilitation aura-t-elle pour conséquence de sortir leur mémoire de l’oubli ? Tant que les fusillés pour l’exemple restent au « ban de la nation », nous entretenons leur mémoire comme exemplaire de la barbarie et de l’arbitraire militaire. La réhabilitation a pour objectif de reconnaître les condamnés pour l’exemple comme des soldats à part entière, comme les autres. S’ils sont réhabilités, leur nom sera peut-être même inscrit sur les monuments aux morts, et leur mémoire sera nivelée avec celle de tous les autres morts de la guerre. Les monuments aux morts qui proclament « maudite soit la guerre » sont bien peu nombreux, la majorité glorifie le sacrifice pour la patrie. Il ne s’agit pas ici de critiquer le sentiment d’injustice que l’on ressent face à l’arbitraire militaire, ni cette volonté de demander justice, mais de prendre du recul quant à ce sentiment spontané d’injustice. À qui demande-t-on justice ? À un État-nation militariste.

Il y a dans cette volonté de réhabilitation comme une tentative révisionniste : il s’agit en quelque sorte de réécrire l’histoire. Condamnés pour l’exemple, ils l’ont été ; il n’y a aucune raison de vouloir gommer cette exemplarité. Les réhabiliter, c’est vouloir normaliser leur mort. Et cela ne peut se concevoir que si l’on se sent concerné par l’idée de nation, de nation qu’il faut défendre contre des ennemis. Il n’y a aucune raison que quiconque, aujourd’hui, se sente impliqué et responsable de ce qui s’est passé en 1914-1918 ou n’importe quand avant sa naissance. Les idées de nation et de patrie me sont étrangères et je vomis l’existence de l’État, pourquoi irais-je jouer les redresseurs de torts pour gommer l’ignominie de l’État français ? Sauf à me sentir partie prenante de ces monstres froids que sont la nation et l’État.

Que d’ardents défenseurs de la nation et de l’État entament cette démarche, ça peut se comprendre, mais que des gens qui se disent pacifistes, qui se proclament sans dieu ni maître, qui militent pour la « sociale » et sont internationalistes, voire anti-nation, s’embarquent dans la même charrette, c’est plus difficile à avaler.

Que cherchez-vous avec ce révisionnisme ? À réformer la façon de faire la guerre : vouloir réhabiliter les fusillés pour l’exemple, c’est faire dire à l’État que ces jugements étaient indignes et que la prochaine fois ça ne se reproduira pas. Vouloir faire admettre ses torts à l’État, c’est admettre qu’il puisse se conduire différemment, c’est conforter son existence.

Ma seule façon d’envisager cette question, c’est d’essayer de me mettre dans la peau d’un de ces soldats. À supposer que dans les mêmes circonstances j’ai eu le courage de mettre la crosse en l’air, je crois que je me retournerais dans ma tombe si j’apprenais qu’on veut me considérer comme un soldat mort pour la patrie.

Patrick Faure