Total impunité

mis en ligne le 3 décembre 2009
Christophe de Margerie, PDG de Total, se plaint que les Français n’aiment pas son entreprise, qu’ils vont dans ses stations service par obligation, à cause de leur omniprésence, et avec des pinces sur le nez. Donc ce président voudrait qu’on l’aime et qu’on apprécie sa société qui fait tant de bénéfices (quoi que petit joueur face à Exxon et autres). C’est sûr que ça ne va pas être facile avec une liste de méfaits perpétrés avec morgue et en se sentant au dessus des lois : esclavage et soutien à une dictature en Birmanie, pots-de-vin en Afrique, pollution, projet d’implantation de centrales nucléaires pour permettre de fournir l’électricité à des chantiers d’extraction de sables bitumineux (en Alaska), filialisation pour se débarrasser de secteurs moins rentables sans que ça se voit (« les suppression d’emplois, c’est pas moi c’est eux »), projet de fermeture de raffineries en France dans les prochaines années, j’en passe et des meilleurs…
En plus, cette année a été particulièrement meurtrière sur les sites français de Total (quatre morts, des dizaines de blessés et des fuites de produits divers et polluants). Enfin, à quelques semaines d’écart, la multinationale se trouve sur la scène judiciaire avec deux affaires.
La première, c’est le naufrage de l’Erika qui provoqua une catastrophe majeure écologique en 1999 : 20000 tonnes de fioul répandues sur plus de 400 kilomètres et plus de 150 000 oiseaux morts. En première instance, le tribunal correctionnel avait condamné Total et reconnu l’existence d’un préjudice écologique. Total et trois autres sociétés avaient été condamnées à verser solidairement 192 millions d’euros. Le groupe pétrolier a fait appel et c’est ce jugement qui s’est ouvert le 5 octobre et a pris fin le 18 novembre. Les débats ont bien défini les responsabilités des acteurs de l’ensemble de la chaîne du transport maritime dans la catastrophe, notamment de Total qui a privilégié ses intérêts économiques au détriment de la sécurité et la protection de l’environnement. Et si les avocats de la défense ont plaidé l’irresponsabilité juridique, ils n’ont pas convaincu. Le jugement sera rendu le 30 mars prochain (une amende de 375000 euros pour délit de pollution !). On peut douter de la condamnation de Total, vu ce qui s’est passé à Toulouse.
La deuxième affaire c’est, bien sûr, le procès de la catastrophe d’AZF. Et là, il est difficile d’imaginer que le premier procès de ce type filmé pour l’histoire, qui a duré quatre mois et fait défiler des dizaines d’experts, se termine sur une impasse. Le 19 novembre, lors du résultat des délibérés et pendant une heure et demi, le président a accusé la filiale de Total, Grande Paroisse, de fautes organisationnelles, de manquements à des obligations de sécurité, de tromperie de la part des experts dans le cadre de la pseudo-« enquête interne », etc. Et au bout du compte et malgré tout : rien. Le juge a prononcé la relaxe au bénéfice du doute. Grande Paroisse se retrouve responsable au plan civil, sans être coupable au plan pénal, parce qu’au niveau de la loi, même si le juge en a plus que l’intime conviction, il manque LA preuve quant à la cause réelle de l’explosion. Preuve d’autant plus difficile à trouver maintenant que le temps a passé et que l’enquête interne a tout fait pour brouiller les pistes.
Total, en disant s’occuper de faire jaillir la vérité grâce à son enquête interne, a suffisamment semé le doute pour que des décisions de justice ne soient plus possibles. Des résultats ont été cachés sur les quantités de produits pouvant exploser et sur la présence de produits incompatibles et ça suffit pour blanchir Grande Paroisse (l’ex-PDG de Total, en tant que prévenu, ayant mis tout sur le dos de sa filiale). Comment comprendre que Total considère ne rien avoir à se reprocher sur le plan pénal mais qu’elle ait consenti à indemniser les victimes au civil, pour un montant global de 2 milliards d’euros ?
AZF1575
Il va sans dire que l’annonce de la relaxe a été « un coup de poing à l’estomac » et a même été vécue comme une deuxième catastrophe d’AZF. Effacés les 31 morts, les milliers de blessés et le tiers de Toulouse sinistré.
Ce n’est malheureusement pas une information, et ce procès en est la preuve, mais la justice se montre bien plus sévère pour les voleurs de poules qu’elle punit au pas de charge sans trop regarder la fraîcheur des preuves, que pour punir ceux dont l’entreprise a fait des dizaines de morts et des milliers de victimes. Il coûte beaucoup moins cher de faire sauter une ville que de brûler une poubelle, suivant qu’on est puissant ou pauvre.
Ce qui s’est passé là défie l’entendement et le sens de la justice de l’humanité. Le procureur de la République a fait appel, mais…