Palestine : de l’art de planter des nouveaux clous dans le cercueil de la paix

mis en ligne le 17 décembre 2009
Vous pensez que les criminels de guerre ne possèdent pas le sens de l’humour ? Vous vous trompez. Un an après la sanguinaire opération « Plomb durci » qui ravagea la bande de Gaza et martyrisa ses habitants, les dirigeants de l’état hébreu ont décidé de se payer la tête du monde entier. La farce tragique qu’ils jouent en ce moment s’intitule : Israël propose un gel de dix mois des colonies. Leur pièce se divise en plusieurs tableaux, mais à ce jour tous ses actes ne sont pas encore connus. Toutefois, probablement pour ne pas gâcher le matériel de construction déjà commandé, le « gel » en question prévoit les exceptions suivantes :
Jérusalem ne sera pas concernée, puisque le Premier ministre Benyamin Netanyahou a déclaré qu’« aucune restriction ne sera appliquée dans notre capitale souveraine » ;
le gouvernement poursuivra la construction de synagogues, d’écoles, de jardins d’enfants et de bâtiments publics ;
la construction des quelque 3 000 logements et unités d’habitation déjà en route ne sera pas interrompue.
La duplicité étant une des caractéristiques des grands de ce monde, l’administration Obama a confirmé que « les États-Unis n’acceptent pas la légitimité de la colonisation ». Mieux encore, la secrétaire d’État Hillary Clinton a surenchéri en affirmant que la reprise des négociations devrait aboutir à « un État palestinien indépendant et viable, fondé sur les lignes de 1967 ». Ne voulant pas être en reste, le mardi 8 décembre, à l’issue d’une pénible semaine de négociations, l’Union européenne a appelé à faire de Jérusalem « la future capitale de deux États ». En somme, pour ne pas déroger à ses habitudes, la fausse montagne qu’est l’UE a accouché d’une souris. Mais c’était encore trop pour l’ambassadeur de France Christophe Bigot puisque, le 3 décembre, il formulait les deux réserves de Paris : « D’abord, la déclaration devrait prendre en compte la décision positive [sic !] de B. Netanyahou d’un gel partiel des constructions des colonies. […] En deuxième lieu, nous devrions promouvoir la relance de processus de paix. Ce devrait être les deux points qui devraient figurer dans la déclaration. » En résumé, comme le dit sans détours Alain Gresh du Monde diplomatique, Paris est favorable à une reprise des négociations sans conditions préalables, c’est-à-dire sans aucune chance d’aboutir, puisque le gouvernement israélien refuse de reconnaître les principes définis par les Nations unies, selon lequel l’occupation doit se terminer sur tous les territoires occupés en juin 1967, y compris Jérusalem-Est.
Ce à quoi nous rajoutons ce qui suit, le nanisme politique de l’UE n’est plus à démontrer, la veulerie de la diplomatie française encore moins.
L’Autorité palestinienne exerce ses maigres pouvoirs sur environ 40 % des territoires décidés par les accords d’Oslo, étant entendu que les forces armées israéliennes continuent à contrôler ses frontières terrestres, maritimes et son espace aérien. En sus, la Cisjordanie est éventrée par un mur qui atteindra prochainement 731 km de long. Cet entrelacs de blocs de béton et de barbelés sépare entièrement Jérusalem du reste de la Cisjordanie et isole de facto les 200 000 Palestiniens de Jérusalem-Est du reste de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Concrètement, le non-retour aux frontières de 1967, conjugué à la construction du mur, correspond à l’annexion de près de 78 % de la superficie totale de la Cisjordanie, sans accès au Jourdain ou à la mer Morte. Par bonds ou grignotages successifs – mais toujours par le glaive –, les frontières d’un hypothétique État palestinien ont reculé de près de 43 % depuis le plan de partage de 1947 à 10 % aujourd’hui. Les négociations ou pseudo-négociations dont on nous rebat les oreilles depuis des années visent tout bonnement à acclimater l’idée, surtout dans l’esprit des Palestiniens, qu’au mieux, ils devront se contenter de 22 % des terres où ils vivent depuis des temps ancestraux.
Depuis Oslo et la mise en place de l’Autorité palestinienne, ladite Autorité exerce un monopole sur les négociations économiques avec Israël sur la perception des taxes diverses (notamment les droits de douane et les aides internationales). Mais la viabilité de ce non-modèle économique est en trompe-l’œil en ce qu’elle est entièrement subordonnée au bon vouloir des vrais maîtres des lieux. L’Autorité palestinienne a mis en place un appareil d’État (sans État !) pléthorique (jusqu’à 180 000 membres en 2007), ce qui lui a permis de jouer un rôle central dans l’économie palestinienne en devenant le premier employeur dans les territoires palestiniens. Notons ceci : la moitié de ses salariés fait partie des différentes forces de sécurité, 1/3 du budget est consacré au développement des services sociaux (santé, éducation), enfin, le soutien au développement économique est soumis à la portion congrue.
Précisons que le monopole de l’Autorité palestinienne sur les droits de douane (plusieurs centaines de millions de dollars par an), sur l’aide internationale et sur l’importation de 27 marchandises (ciment, essence, tabac, etc.) génère un vaste réseau de clientélisme et de corruption.
La systématisation du bouclage après le soulèvement de septembre 2000 a eu pour conséquence un affaissement du PIB (-35 % entre 2000 et 2005). La production agricole a chuté (en valeur absolue) de plus de 25 % entre 1999 et 2007. Quant à la production industrielle, elle a dégringolé de plus de 20 %.
La situation économique et sociale des territoires est désastreuse. Leur avenir politique s’est encore plus assombri depuis le début du mois de décembre.
La Knesset (Parlement d’Israël), soutenue dans son initiative par le gouvernement, a adopté un texte qui a pour nom « loi sur la continuité ». En substance, ce texte stipule qu’une majorité spéciale de 80 députés (sur 120) sera habilitée à autoriser l’évacuation de Jérusalem-Est (la partie arabe de la ville) ainsi que le plateau du Golan en cas de conclusion de paix avec l’Autorité palestinienne ou avec la Syrie. Mais il oblige également le gouvernement à organiser un référendum populaire avant de procéder à la restitution des territoires annexés.
Les espoirs portant sur la création d’un État palestinien viable et d’un règlement négocié avec la Syrie à propos du Golan étaient extrêmement ténus, cette nouvelle loi leur portera un coup fatal. N’en soyez pas étonnés. Barack Obama, dernier prix Nobel de la paix, marche de plus en plus dans les pas de son prédécesseur à la Maison Blanche. Certes, il ne fulmine pas après l’axe du mal (formule désignant la Corée du Nord, l’Iran, l’Irak chez Bush), mais c’est tout comme. Quel est aujourd’hui le pays que la stratégie impériale des États-Unis diabolise tout particulièrement sur fond de mélodie composée pour les F16 ? C’est l’Iran. Cette stratégie revient à accorder une place prééminente à Israël pour amener à résipiscence les pays suspectés de complaisance envers le pays des mollahs.
Citons le Washington Post du 26 novembre 2009 : « La Chine a été avertie qu’Israël considère le programme nucléaire iranien comme un “problème existentiel, et que les pays qui ont un problème existentiel n’écoutent pas les autres nations”. Selon un haut responsable gouvernemental, les conséquences sont claires : Israël pourrait bombarder l’Iran, provoquant une crise dans la région du golfe Persique et entraînant inévitablement des problèmes sur le pétrole dont la Chine a besoin pour alimenter son irrésistible essor économique. » Au fil de l’histoire, les États-Unis ont constamment soutenu et instrumentalisé Israël et réciproquement. Grâce à cette alliance indéfectible, les États-Unis disposent d’un allié de choc au Proche-Orient. En contrepartie, Israël jouit d’un feu vert permanent pour mener à terme ses projets coloniaux. Quant aux Palestiniens, leur faute est inexpiable. Pensez donc, ces hommes et ces femmes ont l’extravagante prétention de vouloir vivre dignement et paisiblement sur la terre où ils sont nés.