Inde : guerre pour la bauxite

mis en ligne le 28 janvier 2010
La fringale du minerai
« Les basses collines de l’Orissa du sud, avec leurs sommets aplatis, ont été le foyer des Dongria Kondh bien avant qu’il existe un pays portant le nom d’Inde ou un État portant celui d’Orissa. Ces collines protégeaient les Kondh et les Kondh les vénéraient comme des divinités vivantes. Aujourd’hui, ces collines ont été vendues, elles contiennent de la bauxite. Pour les Kondh c’est comme si dieu lui-même avait été vendu. Ils se demandent comment cela se passerait si ce dieu avait été Ram, Allah ou Jésus-Christ.
Peut-être les Kondh devraient-ils être reconnaissants que leurs collines de Nyamgiri, où habite leur Niyam Rajah, dieu de la loi universelle, aient été vendues à une entreprise qui porte le nom de Vedanta (la branche de la religion hindoue qui enseigne la valeur absolue du savoir). Il s’agit de l’une des plus grandes compagnies minières du monde, elle appartient au multimilliardaire indien Anil Agarwal, qui vit à Londres dans un palais qui jadis appartint au shah d’Iran. Vedanta n’est qu’une des nombreuses multinationales implantées en Orissa. »
Cet État est situé en bordure du golfe du Bengale, au nord-est de l’Inde. Les Dongria Kondh sont un des peuples premiers vivant dans les restes de forêts primaires de cet État. Dongria signifie peuple des collines dans leur langue. Il est inutile de rappeler que la bauxite est le minerai de base de l’aluminium. La production indienne est passée de 10 millions de tonnes à 13 millions en trois ans, de 2003 à 2006. Mais ce n’est pas suffisant, car l’Inde veut produire de plus en plus chaque année, de voitures entre autres. D’autre part, la spéculation sur ce minerai fait rage comme pour tous les autres, tablant sur un appétit sans limite de la Chine comme des Indiens. Il suffit de se baisser pour faire de l’argent. Que le sous-sol en question soit propriété d’un peuple autochtone dont les terres et en l’occurrence ces collines soient garanties inaliénables par la Constitution n’est pas gênant. Les Kondh sont armés seulement de flèches et d’arcs. Enfin c’était le cas. Car aujourd’hui ils ont trouvé des alliés qui ont l’habitude de se battre avec de vraies armes, les guérilleros maoïstes. La misère y est si grande, le système des castes y est si efficace et tellement sans pitié pour ceux qui sont en bas de l’échelle, les dalits (intouchables) ou adivasi (peuples premiers). La seule issue pour eux semble être la guérilla.
Ce qui tombe bien, car il manquait au pouvoir de Delhi une excuse en béton pour écraser toute velléité de résistance. Aujourd’hui, le « danger maoïste » a remplacé celui des islamistes. Derrière le bruit médiatique le gouvernement a mis sur pied une opération spéciale : Opération chasse verte, dirigée par le Hortefeux local.

Mais que sont ces maoïstes ?
Cela fait longtemps que les marxistes-léninistes hantent l’Inde. Ceux-là sont les héritiers des insurgés qui en 1967 attaquèrent un propriétaire terrien dans le village de Naxalbari pour lui prendre son grain et le distribuer aux paysans pauvres. Ils prirent depuis le nom de naxalites.
Aujourd’hui, selon Arundhati Roy, « peu d’observateurs extérieurs » ont une expérience directe de la nature réelle du mouvement maoïste dans la forêt. Une interview récente, dans Open magazine, de l’un de leurs principaux leaders, le camarade Ganapathy, n’a pas changé l’opinion de ceux qui considèrent les maoïstes comme un parti à vision totalitaire, qui ne supporte aucune contestation. Son approbation désinvolte de l’action des Tigres du Sri Lanka a suffi à faire frissonner de peur les plus sympathisants… pas seulement à cause de la façon brutale dont le LTTE (Tigres de libération de l’îlam Tamoul) a choisi de mener sa guerre, mais aussi à cause du cataclysme tragique qui a fondu sur le peuple tamoul du Sri Lanka qu’il prétend représenter et à l’égard duquel il a une responsabilité certaine.

La soif de l’argent
On a l’excuse, la lutte contre la terreur marxiste et on a aussi le moyen de financer cette guerre qui a déjà commencé. Selon certains experts, il semblerait que la valeur financière des gisements de bauxite en Orissa seule serait de 2270 milliards de dollars (deux fois le PNB de l’Inde). Estimation faite en 2004. Actualisé, le prix s’élèverait à 4000 milliards de dollars. Ajoutons à cela la mise en place d’infrastructures monstres pour permettre l’extraction, le transport, la transformation de la bauxite et vous serez d’accord avec moi pour comprendre qu’il n’y aucune raison pour que quelques sauvages s’opposent à ce que l’Inde deviennent un grand pays, un géant et quelques-uns de ses dirigeants un peu plus riches, comme ce monsieur Anil Agarwal qui vit à Londres dans le manoir de l’ancien shah d’Iran.