Cinq sur cinq : jeu social pipé

mis en ligne le 1 avril 2010
Un manifestant du 23 mars interrogé par une chaîne de télé quelconque déclarait : « Après les élections de dimanche, c’est aujourd’hui une deuxième claque pour Sarkozy pour qu’il comprenne bien le message. »
De toute évidence, Sarko effectivement a reçu le message cinq sur cinq si l’on en juge par la teneur de son discours solennel « à ses compatriotes » le mercredi 24 mars : « Nous devons continuer les réformes. Arrêter maintenant, ce serait tout simplement ruiner les efforts accomplis. Vous m’avez fait confiance pour moderniser la France. Je tiendrai mes engagements. La crise ne doit pas nous inciter à ralentir, mais au contraire à aller plus loin afin de construire un nouveau modèle de croissance. »
C’est clair, c’est limpide : le revers électoral, les centaines de milliers de manifestants, il s’en balance. Il persiste et il signe !
Et pourquoi en serait-il autrement ? C’est son taf, son mandat en quelque sorte, de casser les services publics, la Sécurité sociale, le système de retraite par répartition, les statuts et les conventions collectives. C’est pour cela que le système l’a mis en place.
Qu’a-t-il à craindre de toute façon des présidents PS avec leurs potes écolos politiciens dans les conseils régionaux ? Vont- ils remettre en cause les plans de licenciements, la précarité galopante, les profits patronaux ?
Qu’a-t-il à craindre des manifestations de type du 23 mars ? Au printemps 2009, les syndicats ont mis dans les rues quatre fois plus de monde. Pour en faire quoi ? Toute cette force gâchée, liquéfiée par des journées d’action à répétition, des manifestations processionnaires, des revendications floues sous prétexte d’unité syndicale.
Nous l’avons déjà largement analysé dans ces colonnes, le deal Sarko/Thibault et le savant jeu de dupes qui en découle donnent de sérieuses garanties de contrôle social au chef de l’État.
Éric Le Boucher, directeur de rédaction « d’enjeux les échos » l’explique très bien dans une chronique fin février : « Vous verrez en permanence affleurer la trame de l’alliance objective passée entre Nicolas Sarkozy et Bernard Thibault. L’affaire Total, la nomination d’Henri Proglio, candidat de la CGT à la tête d’EDF, la réforme des régimes spéciaux, le changement de la représentation syndicale (loi sur la représentativité issue d’un accord CGT, CFDT et Medef). La liste des gages donnés est longue. » Et de continuer, « le dialogue social a permis d’éviter l’embrasement social ». La situation grecque était dans toutes les têtes et une situation identique en France aurait été très dangereuse pour l’Europe capitaliste…
On comprend mieux les louanges de Raymond Soubie, conseiller social de Sarkozy à « l’esprit de responsabilité » des syndicats et notamment à la paire Chéréque/Thibault. Les salariés de la raffinerie Total de Dunkerque, dernières victimes en date de ces magouilles politico-syndicales ont trop bien compris ce que cela signifiait.
Bien évidemment, tout ce beau monde compte remettre le couvert pour la réforme des retraites annoncée pour septembre prochain. Ils sont tous d’accord sur l’essentiel : il faut un « grand débat » ou des « états généraux » (c’est très à la mode) préludes à une nouvelle contre-réforme après celle de Balladur en 1993 et de Fillon/Chérèque en 2003.
Bien peu de monde conteste l’idée même de la pseudo-nécessité d’une réforme. Bien peu donnent la réalité des chiffres face à la propagande gouvernementale : les profits boursiers qui explosent, les 173 milliards d’euros donnés aux banques (rapport de la cour des comptes peu suspecte de gauchisme échevelée), les dizaines de milliards d’euros d’exonérations pour les patrons (véritable pillage de la Sécurité sociale)… De quoi revenir aux 37,5 annuités sans problème aucun ! On parle peu aussi de « l’espérance de vie en bonne santé ». Les chiffres sont pourtant instructifs : 63 ans pour les hommes et 64 pour les femmes. Et ils voudraient nous faire bosser jusqu’à 65 ans !
Dans leur déclaration commune du 15 février, la CGT, la CFDT, l’Unsa, la FSU et Sud souhaitent s’inscrire dans le débat mais dans un « calendrier pas trop serré ». Bref au-delà des gesticulations, on sait ce que cela signifie : on va discuter et ensuite on va s’enfiler la réforme. Le scénario est déjà préparé. Le Conseil d’orientation des retraites qui regroupe partenaires sociaux et parlementaires devrait délivrer son rapport à la mi-avril. Le Medef a demandé de chiffrer l’impact du relèvement de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans et de la durée de cotisations à 45 ans ! Les syndicats vont dénoncer cette provocation, appeler à quelques journées d’action et quand Sarko proposera une loi très régressive mais un peu moins brutale, c’est tout juste si l’on ne criera pas victoire !
C’est dans ce cadre bien contrôlé que tous ces escrocs du mouvement social vont certainement appeler « à un grand premier mai unitaire ».
Quand on est militant investi dans le mouvement social, a fortiori si l’on est militant anarchiste, on préfère voir les salariés, les chômeurs, les étudiants dans la rue plutôt qu’en pantoufles devant leur télé. Cela dit, notre responsabilité c’est aussi modestement mais avec détermination de faire la clarté, contre les rideaux de fumée, les impasses des bureaucraties politico-syndicales.
Aujourd’hui, ce ne sont pas de journées d’action dont nous avons besoin, ni de manifestations festives, fussent-elles unitaires, mais d’assemblées générales, de mandats clairs, de grève interprofessionnelle et de blocage de l’appareil productif.
Sur ces bases, le système entendra le message cinq sur cinq et c’est une tout autre histoire qui pourra commencer.