Haro sur les retraites

mis en ligne le 4 février 2010
C’est marrant, mais chaque fois que les gens qui veulent faire notre bonheur à notre place décident de quoi ledit bonheur sera fait, ils affirment qu’il ne faut pas être « immobiliste ». Mais ce n’est jamais pour qu’on gagne plus et travaille moins. Le refus de l’immobilisme, c’est toujours le contraire : gagner moins et travailler plus. « Il n’y a pas de sujet tabou, pas plus celui de l’âge que d’autres. » « Le PS est pleinement conscient de la nécessité d’une réforme, on ne pourra pas nous taxer d’immobilisme » (lesechos.fr). « Retraite : le PS accepte le report de l’âge légal » (20 janvier 2010). Martine Aubry, elle, affirme : « On doit aller très certainement, on va aller très certainement vers 61 ans ou 62 ans. »

Quel allongement de la durée de vie ?

L’argumentation de la direction du PS, mais aussi de la droite et du patronat, se fonde sur l’idée que puisque l’espérance de vie s’allonge, il est logique que la durée de cotisation ou l’âge légal soient modifiés. Mais dans l’argument sur la durée de vie qui s’allonge, on ne tient jamais compte de deux choses.
Il n’est jamais précisé s’il s’agit d’un allongement de la durée de vie valide ou non. Ce qui intéresse un retraité, c’est de pouvoir profiter de sa retraite en bonne santé, pas comme un légume. Or plus on allonge la durée de cotisation, moins on donne de chance au retraité de profiter de sa retraite.
On ne considère jamais que l’allongement de la durée de vie est une conséquence normale de l’évolution de la société vers le mieux-être général (ça devrait être comme ça, en tout cas) et que l’allongement consécutif de la durée de retraite qui en découle est un effet normal et légitime de cette évolution.
Les capitalistes et l’État ont d’ailleurs une vision curieusement sélective. Par exemple, lorsqu’une « conséquence normale de l’évolution de la société » se nomme augmentation prodigieuse de la productivité du travail, c’est-à-dire de la richesse qu’une minorité s’approprie, on ne songe pas à modifier les donnes et à redistribuer les cartes.
Du côté de la CFDT, où l’on privilégie l’idée d’augmentation de la durée de cotisation, François Chérèque se félicite de « l’évolution du discours à gauche, notamment au Parti socialiste » ; son camarade Jean-Louis Malvy, lui, pense que « c’est une bonne chose que le PS pose les vraies questions en évoquant l’augmentation de la durée du travail ». Tout cela réjouit fortement la présidente du Medef, qui constate que le sujet est « beaucoup plus consensuel qu’on ne le dit ».
Les réformes de 1993 et de 1994-1996 ont abouti à une diminution de 78 % à 58 %, c’est-à-dire vingt points, de l’allocation moyenne de retraite des salariés du privé pour la période 1996-2030. C’est dire que les effets de cette réforme ne se sont pas encore tous faits sentir.
L’objectif des patrons et de la droite qui lui sert de chien de garde était de figer le niveau des cotisations de retraite tout en finançant un nombre de retraités qui va doubler entre 2000 et 2040, tout cela avec les mêmes ressources. Il n’est pas nécessaire d’être un grand mathématicien pour comprendre les conséquences que cela entraînera pour les retraités.
L’autre objectif était de liquider progressivement le système de retraite par répartition afin d’introduire de plus en plus les fonds de pension, ce qui équivaut à transférer au profit de l’accumulation capitaliste tout un champ qui restait jusqu’à présent socialisé ou, si on préfère, mutualisé.

Fonds de pension
Les fonds de pension américains sont un exemple caractéristique de l’évolution spéculative du capital : ce ne sont pas les cotisations des adhérents qui servent à verser les pensions des retraités : les cotisations servent à constituer un capital de base qui sert à spéculer, et ce sont les profits de la spéculation qui paient les pensions. Il suffirait d’une série de mauvaises opérations et c’est la catastrophe pour les retraités. Les fonds de pension privent les salariés de toute sécurité en les livrant aux incertitudes de la gestion des organismes financiers. En cas de faillite de ces derniers, les salariés se retrouvent sans retraite malgré des années de cotisation. C’est ce qui s’est passé aux États-Unis en 2002 avec la faillite d’Enron.
La différence entre un champ de financement mutualisé et un champ de financement capitaliste est simple : dans le premier cas, les excédents sont remis en circulation au profit des adhérents ; dans le second ils sont versés aux actionnaires. Ainsi, en Grande-Bretagne, les adhérents des fonds de pension ne récupèrent en fin de compte que la moitié des sommes qu’ils ont versées, le reste allant en prétendus frais de gestion et en dividendes pour les actionnaires. C’est un acte de piraterie.
On va donc vers un système de retraite à deux vitesses : un pour ceux qui ont les moyens, un pour les pauvres. Le « moteur » du système capitaliste ne semble d’ailleurs avoir que deux vitesses, dans tous les domaines, notamment la santé. Une vitesse pour les riches, une vitesse pour les pauvres.
Le pouvoir en place et son patron, le Medef, vont devoir liquider encore plus la retraite par répartition (c’est-à-dire mutualisée) afin de contraindre les salariés qui en ont les moyens de se tourner vers les fonds de pension, s’ils veulent espérer avoir une retraite à peu près décente. La grande majorité des autres sera condamnée à une vieillesse misérable.

Trois options
En 2001, le Conseil d’orientation des retraites présentait plusieurs options possibles, qu’il est intéressant d’examiner :
1. On n’augmente pas les cotisations de retraite, on ne diminue pas le montant des retraites. Cela signifierait l’augmentation de la durée de cotisation de neuf ans.
2. On n’augmente pas les cotisations de retraite, on n’allonge pas la durée de cotisation. Cela signifierait une réduction du montant net des retraites de 78 % à 43 %. Un salarié ayant un salaire net de 1 200 euros verrait sa retraite chuter de 936 à 516 euros.
3. On n’allonge pas la durée de cotisation, on ne baisse pas le montant des retraites. Cela signifierait une augmentation de 15 points des cotisations entre 2003 et 2040.
La troisième option n’a curieusement jamais été proposée au débat public. Quinze points d’augmentation en trente-sept ans, cela signifie 0,40 point par an ou, si on préfère, 0,25 point de part patronale et 0,15 point de part salariale par an. Là encore, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour affirmer que c’est préférable à neuf ans d’augmentation de la durée de cotisation. Mais les patrons ne manqueront pas de hurler qu’on veut les ruiner, qu’on veut remettre en cause la « compétitivité de l’économie française » face à une concurrence internationale impitoyable, etc. Pour les patrons, cette option ne représente pas une augmentation des charges telle qu’elle les mettrait sur la paille. En fait, le problème n’est pas là. Le problème est idéologique. Le patronat refuse le principe même de charges patronales. Une solution en principe acceptable pour tous mais qui inclurait des charges patronales, si minimes soient-elles, est donc totalement inacceptable.

Productivité du travail
La productivité du travail est en France l’une des plus fortes des pays industrialisés. Or les patrons et la droite raisonnent comme si la richesse globale n’allait pas bouger dans les quarante prochaines années. En fait, leur idée est de figer toutes les conquêtes sociales d’aujourd’hui afin de se mettre dans la poche tous les bienfaits de l’accroissement de richesse des décennies à venir – dont une partie devrait revenir aux retraités (sans oublier évidemment les autres). Il s’agit réellement d’un véritable acte de piraterie.
Car avec un taux de croissance de 1,7 % par an, la richesse sociale aura doublé en quarante ans, passant de 1 700 milliards à 3 400 milliards d’euros – inflation comprise.
Le Comité intersyndical du livre parisien, qui est, malgré sa dénomination « intersyndicale », l’instance coordinatrice de la CGT du livre, avait fait une déclaration intéressante en octobre 1998 à l’occasion d’une assemblée générale de la Mutuelle de la presse :
« L’épargne salariale ou l’épargne retraite, ce sont des fonds échappant aux cotisations sociales – d’où un manque à gagner pour les caisses – qui sont capitalisés individuellement et « travaillent » pour les entreprises et les marchés financiers. Ce sont les fameux « fonds de pension » à la mode anglo-saxonne, qui se déplacent au gré des bonnes ou mauvaises affaires, de pays « émergents » en sociétés privatisables.
La retraite indexée sur la Bourse plutôt que le travail ! L’argent des salariés servant à la spéculation et aboutissant au licenciement d’autres salariés ! »
Cette déclaration s’inspirait d’un article du numéro 11 d’Édition spéciale (octobre 1998), le bulletin du Comité inter consacré aux caisses sociales et aux retraites. Un article de trois pages y est consacré aux fonds de pension et d’épargne salariale. L’article montre que les pertes d’emplois dans les pays industrialisés sont moins dues aux délocalisations qu’à l’augmentation de la productivité ; il conclut en suggérant que les retraites des salariés soient « indexées sur l’accroissement de la productivité ».
Les projets de la droite, du patronat, comme ceux du Parti socialiste occultent un fait pourtant simple à observer : quelles que soient les déclarations d’intention des uns et des autres, la durée réelle de cotisation des salariés s’obstine à tourner autour de 37 annuités, soit parce qu’on fait partir les « vieux » en départs anticipés, soit parce qu’ils sont licenciés et ne retrouvent pas de travail. Allonger la durée de cotisation à 41 annuités équivaut par conséquent à réduire le montant de leur retraite et à plonger dans la misère des centaines de milliers de retraités.
Et pendant ce temps, 23 % des « juniors » sont au chômage.
Le système capitaliste, c’est la course permanente vers des salaires plus bas, c’est la durée du travail toujours plus longue, sa flexibilité, l’insécurité sociale croissante, des emplois de plus en plus précaires, la suppression du salaire minimum, la réduction de l’ensemble des prestations sociales, la privatisation des services publics, la liquidation des systèmes de retraites pour les remplacer par des assurances privées et des fonds de pension, mais c’est aussi la suppression progressive des charges et des impôts pour les entreprises…

Que faire ?

Évidemment, ce n’est pas demain qu’on va pouvoir changer tout ça. Mais il y a peut-être une chose par laquelle commencer.
Les « chassés de la production » que sont les retraités sont aussi virtuellement chassés du mouvement syndical, alors même que l’âge moyen de la population augmente et que les retraités sont plus nombreux. Une fois à la retraite, le syndiqué est prié de s’occuper de ses affaires de retraité. Tout au plus y a-t-il une « section des retraités » dans son syndicat, sans pouvoir autre que d’organiser un banquet annuel.
La retraite n’est qu’une des formes du salariat, comme l’est le chômage. C’est précisément le projet de la bourgeoisie de dissocier du salariat ces deux situations particulières de l’existence du salarié, en tentant de faire insensiblement verser le chômage dans une forme insidieuse d’assistance aux pauvres, et la retraite dans une forme de revenu de l’épargne capitaliste, notamment à travers les fonds de pension.
Les retraités n’ont pas seulement le droit, mais le devoir de s’intéresser aux affaires de leur syndicat, et de s’y intéresser à part entière avec les mêmes droits, parce que c’est leur syndicat : qu’il s’agisse du pouvoir d’achat, des conditions de travail, des garanties sociales pour les actifs, ou des retraites, des conditions de vie et des garanties pour les retraités, le syndicat a son rôle à jouer dans les deux cas. Les retraités membres du syndicat ont donc parfaitement le droit de demander des comptes à la direction de leur syndicat, et s’ils ont le droit de demander des comptes, c’est qu’ils sont membres à part entière.
Ils doivent donc réinvestir le mouvement syndical.