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Actus anarchistes
par traduction de le 26 juin 2018

Russie : Affaire « Réseau » – Arrestation d’anarchistes

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Automne 2017. L’État russe participe activement à la guerre en Syrie.
Ses relations internationales sont réduites à néant après l’annexion de
la Crimée, les interventions militaires et les menaces. La société
civile se rappelle de l’assassinat de l’important politicien
d’opposition Nemtsov. Des centaines d’exilés politiques et des dizaines
de prisonniers politiques. Les sanctions commerciales à l’importation et
la chute des prix de l’énergie sont en train de dévaster l’économie. Des
protestations de masse contre la corruption et la grève des
transporteurs de fret, la guérilla islamiste dans le sud – voilà la
situation de la Russie. En quelques mois, il y aura les élections
présidentielles [elle ont eu lieu le 18 mars 2018 et ont été gagnée,
sans surprise, par le tsar Poutine ; NdAtt.].

Courant octobre, des rumeurs courent à propos de nombreux anarchistes
arrêtés à Penza [grosse ville à 600 km au sud-est de Moscou ; NdAtt.].
Mais aucune information n’est disponible sur internet. C’est difficile
d’avoir des nouvelles. Même le nombre des personnes détenues n’est pas
connu. Seuls quelques fragments de fuites d’infos font état du fait que
la section anti-terroriste du FSB (les services secrets) a pris part aux
arrestations. Cela est difficile à croire, puisqu’il n’y a pas eu
d’actions radicales à Penza depuis de nombreuses années. Il paraît que
ces rumeurs ne sont pas fiables, exagérés.

Tout à coup, dans les milieux anarchistes arrivent des nouvelles de l’un
des arrêtés. Il demande à tous.te.s celleux qu’il connaît de s’enfuir et
assure que « le FSB possède des méthodes efficaces ». Les camarades qui
s’attendaient au pire se sont mis au vert à l’avance.

Pendant trois mois, l’affaire a été couverte de zones d’ombre, jusqu’à
ce qu’une nouvelle vague d’arrestations débute. A Saint-Pétersbourg,
Victor Filinkov, Igor Shishkin et Julian Boyarshin ont été emprisonnés.
Ilya Kapustin également, un collègue de travail de l’un des arrêtés, a
été incarcéré. Après l’interrogatoire, il a été relâché. Il a parlé des
tortures et est parti en Finlande, où il a demandé l’asile politique. A
ce moment-là, les nouvelles sur l’affaire s’est largement répandues et
des détails sont ressortis, notamment à propos des tortures.

Aksenova Alexandra, la femme de Filinkov, a, elle aussi, demandé l’asile
politique en Finlande. Les enquêteurs la considèrent comme une idéologue
du « Réseau » [« сеть » en russe : en anglais, le mot est traduit par «
network »; NdAtt] et disent qu’elle aurait eu un entraînement militaire
en Ukraine.
Clandestin

Selon le FSB, les personnes arrêtées appartiennent à l’organisation
anarchiste clandestine « Réseau », qui se composerait de plusieurs
groupes autonomes. Les buts du « Réseau » seraient la radicalisation des
gens durant des protestations de masse, des attaques contre des
autorités publiques lors les élections présidentielles et la Coupe du
monde de football, l’élimination physique des chefs des administrations
locales, de chefs de « Russie unie » [le parti de Poutine ; NdAtt.] et
des chef de filiales d’agences des affaires internes, et le renversement
de l’ordre constitutionnel.

La seule chose certaine est que les anarchistes ont suivi des
entraînements militaires dans la forêt. Celleux qui y ont participé y
ont appris des tactiques d’affrontements, la pyrotechnie, des techniques
de survie, de premier secours. Le vidéo de cet entraînement est à
disposition du FSB. Toutefois, il n’y a aucune preuve concernant la
commission d’action directes et les personnes emprisonnées ne sont même
pas accusées d’en avoir réalisées.
Chronologie des arrestations

En octobre-novembre 2017, des membres supposés du groupe local du «
Réseau » ont été arrêtés à Penza :

Egor Zorin
Ilya Shakursky
Vasily Kuksov
Dmitry Pchelintsev
Andrey Chernov
Arman Sagynbaev

d’âges compris entre 21 et 27 ans.

Selon le dossier, deux autres membres du groupe « 5.11 », de Penza, ont
réussi à s’enfuir. Pendant les perquisitions dans des appartements et
des voitures, les agents du FSB ont saisi des pistolets, des grenades,
des la poudre noire et du matériel pouvant servir à confectionner des
explosifs. Les arrestations n’ont pas eu lieu toutes au même moment,
mais ont été effectuées pendant deux semaines. Cependant, peu de monde
en a profité pour s’échapper.

Toujours selon le même dossier des enquêteurs, Filinkov et Shishkin,
incarcérés à la fin janvier 2018, étaient des membres de deux groupes de
Saint-Pétersbourg, respectivement «Champs de Mars » et « Jordan ». Quant
à savoir à quel groupe ils rattachent Boyarshin, ça reste un mystère. En
plus des trois arrêtés, le FSB pense qu’il y a au moins 8 autres membres
des groupes de Saint-Pétersbourg. De plus, deux autres personnes sont
nommées en relation avec le groupe « MSK », de Moscou. Le FSB a aussi
parlé de l’existence d’une branche du « Réseau » en Biélorussie. Plus
tard, le KGB [les services secrets biélorusses ; NdAtt.] a arrêté un
anarchiste biélorusse, mais pour l’instant on ne sait pas si cela est en
lien avec « l’affaire Réseau » ou pas.
Témoignages

Les preuves principales sont les témoignages des personnes arrêtées.
Malheureusement, parmi les neuf personnes arrêtées, seuls Vasily Kuksov
et Julian Boyiarshin ont refusé de parler. Tous les autres ont donné des
témoignages sur eux-mêmes et leurs camarades.

« Un homme masqué est entré, il avait un mouchoir couvert de sang dans
sa main, c’est quand j’ai entendu le nom de Kuksov. C’est là que j’ai
compris ce qu’étaient ces gémissements venant de l’autre pièce. »
(Shakursky)

Les agents du FSB ont tout de suite fait recours, en plus des tabassages
classiques, à la torture avec des décharges électriques, mais dans
certains cas ils ont utilisé des électrodes.
« Ils m’ont bandé les yeux et m’ont mis une chaussette dans la bouche.
Ensuite, une sorte de fils métalliques a été attaché à mes orteils et
j’ai ressenti la première décharge de courant et je n’ai pas pu
m’empêcher de gémir et de trembler. Ils ont répété ce processus jusqu’à
ce que je promette de dire ce qu’ils allaient me dire de dire. Depuis
lors, j’ai oublié le mot « non » et j’ai dit tout ce que les flics m’ont
dit de dire ». (Shakursky)

Les choques électriques ont été appliqués des dizaines de fois partout
sur le corps, y compris les zones génitales.
« Il alternait des coups sur la jambe avec des décharges électriques
dans les menottes. Parfois il frappait dans le dos ou le cou… J’ai
capitulé presque immédiatement, après les dix premières minutes. J’ai
ciré : « Dites-moi quoi dire, je dirais tout ce que vous voulez ! » mais
la violence ne s’arrêtait pas ». (Filinkov)

Il est important de remarquer que les flics ont utilisé la torture aussi
après que les personnes arrêtées ont été visitées par la Commission de
supervision publique (PMC) [une commission étatique censée contrôler le
respect des droits humains en prison ; NdAtt.]. Pendant la visite à
Filinkov, les contrôleurs des droits humains ont trouvé des traces
récentes de coups, ecchymoses, traces de brûlure par électrocution. Mais
cela n’a pas arrêté les tortures.

Les agents des services secrets les ont forcés à apprendre les «
témoignages » qu’ils voulaient entendre, les mauvaises réponses portant
de nouveaux coups. Ils ont distribué les rôles eux-mêmes et sélectionné
les faits de manière aléatoire, les modifiant à plusieurs reprises.
« On m’a posé des questions, si je ne connaissais pas les réponses
j’étais frappé, si ma réponse ne coïncidait pas avec leurs expectatives
j’étais frappé, si je prenais du temps pour y penser ou pour formuler la
réponse j’étais frappé, si j’oubliais ce qu’ils avaient dit j’étais
frappé ». (Filinkov)
« Quelque fois, les enquêteurs ont amené les feuilles avec mon «
témoignage » en dehors de la pièce. Il devenait évident que toute cette
histoire, fabriquée par le FSB, a des commanditaires qui s’assurent que
rien ne sorte du cadre général »

Il n’y a pas uniquement les accusés qui ont été torturés, mais aussi les
témoins. Les agents ont pris Ilya Kaputsin, un collègue de travail de
Shishkin.
« Je veux présenter mes plus profondes excuses aux personnes qui ont été
touchées par mon problème, excusez-moi, les gars ! » (Shishkin).

« Quand je ne connaissais pas la réponse à une question, par exemple
quand je ne comprenais pas de qui ou de quoi j’étais en train de parler,
ils me frappaient avec des décharges électriques dans la zone de l’aine
ou sur le côté de l’estomac. J’étais frappé par une décharge électrique
pour que je dise que cet ami ou tel autre serait en train de préparer
quelque chose de dangereux ». (Kapustin)

Pchelintsev Dmitry a été pendu la tête en bas avec une dynamo attachée à
ses doigts. Ils m’ont mis dans un tel état qu’« ils touchaient mon cou
et vérifiaient que je n’étais pas en train de mourir…». Plus tard,
Dmitry a dénoncé les tortures, grâce à un avocat. Après, il a été de
nouveau torturé et il a été prévenu que s’il « y restait », les agents
auraient mis en scène son suicide et montré une vidéo à ses proches.

Andrei Chernov, en plus de la torture, a aussi été menacé du fait que
son frère allait aussi être emprisonné.

Boyarshin a été tabassé après avoir été incarcéré pour avoir refusé de
parler. Plus tard, il a été transféré dans le centre de détention «
Gorelovo », où il a été durement tabassé dans sa cellule par des
prisonniers qui collaborent avec l’AP. Cette prison est connue pour ses
mauvaises conditions : les prisonniers y sont tabassés, violés, torturés
et les autorités publiques en ont connaissance. Le processus de torture
est contrôlé par des agents du FSB. Ils sont venus à nouveau pour
demander à Julian de témoigner, mais pour le moment il reste fort.
La solidarité sous le coup de la répression.





Le FSB ne s’est pas limité aux figurants de l’ « affaire Réseau ». De
façon inattendue, il a commencé à faire arrêter les critiques et aussi
la solidarité avec les arrêtés. Le premier coup a été porté aux
activistes des droits de l’homme qui ont fait des déclarations
critiques. Dinar Idrisov, qui a dit qu’avant les élections
présidentielles il allait y avoir le « balayage programmé » de personnes
fichées par le Centre « Extrémisme » (une autre agence publique de
sécurité), a été tabassé devant chez lui. D’autres journalistes qui ont
couvert des actions de solidarité ont été perquisitionnés.

Le FSB a interrogé l’anarchiste Sofiko Arifjanova ; ils voulaient
qu’elle témoigne sur le fait que les anarchistes soutiennent le
mouvement Artpodgotovka (« Bombardement d’artillerie») du nationaliste
Maltsev [Vyacheslav Maltsev, politicien nationaliste et bloggueur russe
qui avait appelé à une « révolution » contre Poutine pour le 5 novembre
2017, anniversaire de la révolution d’Octobre ; des centaines de
manifestants convenus ont été interpellés – et Artpodgotovka déclaré
illégal ; NdAtt.], dont les militants ont été massivement incarcérés en
novembre 2017. Peu avant les arrestations, Maltsev s’est tout à coup
déclaré lui-même anarchiste, ce qui peut difficilement être une
coïncidence.

En janvier 2018, des anarchistes de Moscou ont mené des actions de
solidarité dans la rue, y compris le fait de briser la fenêtre du bureau
du parti « Russie unie » et jeter à l’intérieur des feux d’artifice.
Quelques jours après, les forces spéciales ont débarqué dans les
appartements d’Elena Gorban et d’Alexei Kobaidze, qui ont été
interpellé.e.s et amené.e.s au commissariat pour y être interrogé.e.s.

En février 2018, il y a eu une action de solidarité à Cheliabinsk [à
l’est de l’Oural, à 1500 km de Moscou ; NdAtt.] : une banderole avec le
slogan « FSB – les plus grands terroristes » a été posée devant les
locaux du FSB. Quelques jours plus tard, les forces spéciales de la
police ont arrêté l’anarchiste Dmitry Tsibukovsky, directement à l’usine
où il travaillait. Trois autres personnes ont également été
interpellées. Tsibukovsky et Maxim Anfalov ont été tabassés et torturés
avec des décharges électriques. Ils ont été forcés de se déclarer
coupables de l’action et de témoigner là-dessus.

« Ils frappaient avec un shocker électrique sur la poitrine, sur les
jambes, sur les mains – ça sentait comme s’ils y mettaient quelque chose
de très chaud. La chose la plus désagréable était quand ils frappaient
sur les menottes, c’était très douloureux et puisque je tremblais, cela
faisait mal aussi à cause de la compression des menottes. Les coups les
plus douloureux étaient ceux portés sur les mains – ils me disaient de
tenir le shocker à deux mains et l’allumaient. C’était très douloureux.
» (Anfalov)

« Puisque je n’ai rien déclaré pendant un long moment, le flic m’a
appliqué un shocker électrique. Il m’a infligé au moins cinq décharges
sur les jambes, dans les cuisses. Après chaque décharge, il me demandait
si j’avais décidé quoi dire. La douleur due au courant électrique était
insupportable et j’ai décidé « d’avouer», de donner le témoignage dont
le flics avaient besoin pour m’enfermer, moi et les autres. Pour moi, en
ce moment, c’était important de sortir vivant de cette situation.
Pendant l’interrogatoire, le flic a écrit le témoignage lui-même et il
me l’a tendu pour que je le signe ». (Tsibukovsky)

Anastasia Safonova n’a pas été torturée, mais a été obligée d’écouter
les tortures subies par Tsibukovsky, son copain.
« Pendant l’interrogatoire, ils m’ont donné la possibilité de parler
avec Safonova à travers le téléphone interne. Safonova était enfermée
dans le bureau d’à côté. On m’avait dit que je devais la convaincre de
confirmer mon témoignage et qu’ainsi ils nous mettraient ensemble. »
(Tsibukovsky)

Les flics se sont moqués de Dimitry Semenov, l’obligeant à rester
pendant longtemps dans une position mi-accroupie.
« Ils ont amené une sorte d’objet, ils m’ont dit que c’était une sorte
de shocker électrique, ils m’ont attaché à une chaise et m’ont dit que
c’était ma dernière possibilité d’écrire une confession, mais je ne l’ai
pas écrite. » (Semenov)
Il a été sauvé de la torture par un avocat, qui est arrivé rapidement.

En février, l’anarchiste Yevgeny Karakashev a été arrêté à Yevpatoria,
en Crimée. Il a été accusé d’incitation à la haine et d’appel public au
terrorisme. La base de ces accusations était une vidéo des « Partisans
de Prymorie », un groupe de combat de l’extrême-orient russe, qui a été
actif en 2010.

Début mars, à Sébastopol (Crimée), des membres des structures
répressives ont débarqué dans la maison de l’anarchiste Alexei Shestakov
pour une perquisition. Ils lui ont mis un sachet plastique sur la tête
et l’ont amené dans la camionnette, où il a été jeté a terre.
« J’ai perdu mes chaussures – ils avaient enlevé les lacets. Ils ont
serré le sachet sur ma tête, l’air est sorti et j’ai commencé à
suffoquer. J’ai essayé de respirer, ils ont de nouveau serré. Dix ou
vingt minutes se sont écoulées. A ce moment-là, ils ont levé mes bras
derrière mon dos, tirant sur les menottes, les tordant. Ils m’ont dit «
Crie : je suis un animal ! ». J’ai crié. Ils ont laissé mes bras. Ils
ont pris mon pouce et commencé à le tordre, lentement. Maintenant il est
cassé. Quand ça allait vraiment mal, ils demandaient :  « Ça ne te plaît
pas, ici ? » » (Shestakov).
Shestakov a été condamné à 11 jours de détention pour avoir publié des
chansons interdites sur des réseaux sociaux. Après, il est parti en
Ukraine.

En mars, plusieurs personnes ont été arrêtées à Moscou, l’anarchiste
Svyatoslav Rechkalov et son colocataire et aussi plusieurs personnes de
gauche qui ont été relâchées par la suite.
« Ma main et celle de mon coloc’ ont été attachées ensemble, derrière
nos dos, puis ils nous ont couvert les yeux avec du ruban adhésif noir
et nous ont placés dans le coffre d’un micro-van. Ils m’ont dit que
c’est une erreur d’agir comme un criminel dans la lutte contre le crime.
Qu’il faut coopérer avec les autorités publiques et s’engager dans des
activité socialement utiles. Un d’eux a dit, avec un ricanement : « Bon,
je pense qu’un révolutionnaire si déterminé dans ses idées supportera
toute douleur ». Deux autres ont commencé à me frapper. Les coups
n’étaient pas forts, mais la force des décharges électriques augmentait
jusqu’à devenir assez douloureuse. Quelqu’un de l’extérieur m’a attrapé
par le pantalon, ils ont commencé à tirer et crier qu’ils n’y seraient
pas allés de main morte. J’ai dit ensuite que j’étais prêt à parler [il
a témoigné contre soi-même, mais pas contre d’autres personnes] »
(Rechkalov)
La couverture de l’affaire en Russie

De nombreux anarchistes ou journalistes russes interprètent cette
affaire à leur manière. Les anarchistes arrêtés sont appelés avec des
définitions amorphes « d’antifascistes » ou « activistes de gauche »,
niant complètement l’existence d’un mouvement anarchiste, au-delà des
fantaisies du FSB. Quel est le but d’un tel comportement ?

Tout d’abord, le désir d’influencer la société civile proche de
l’opposition, de façon que cette affaire puisse avoir la plus grande
résonance et sympathie, ainsi que de trouver l’argent pour les avocats.
Le but a été atteint, la répression est largement documentée, les
activistes des droits de l’homme ont rejoint la campagne de solidarité.

Évidemment, lors du procès, quelques unes des personnes arrêtées
récuseront les accusations et certains activistes supposent que
l’opinion publique aidera à obtenir des sentences plus légères… Les
familles des compagnons veulent y croire, ils ne peuvent pas encore
accepter l’inévitable.

Mais est-ce qu’on peut vraiment y croire ? Est-ce que la faveur de
l’opinion publique a évité la condamnation des Pussy Riot ? A-t-elle
protégé les manifestants condamnés en 2012 ? A-t-elle aidé Dmitry
Buchenkov [anarchiste, arrêté le 2 décembre 2015 car accusé d’avoir
participé aux heurts entre la police et les manifestants à Moscou, en
mai 2012, lors des protestations qui ont suivi la réélection de Poutine
; NdAtt.] à éviter des accusations évidemment fausses ? Dans un ou deux
ans, la société civile aura oublié les prisonniers, et tout ce qui leur
restera sera quelques proches et leur propre conviction, pour leur
éviter de sombrer dans l’abîme d’années de désespoir. Compter sur
l’opinion publique en tant que levier de pression sur l’autorité russe,
sourde, est une illusion dangereuse.

Il est impossible de ne pas comprendre que nos compagnons seront
emprisonnés de façon exemplaire et cruelle. La réalité objective ne
changera pas par le fait que des personnes veulent aider les prisonniers
de cette manière ou s’auto-persuader de l’inexistence du « réseau ». Et
la majorité des anarchistes, ainsi que le FSB, savent que le mouvement
clandestin anarchiste n’est pas une fiction.

Jusqu’à présent, les anarchistes ont perdu leur identité à cause de leur
propre retenue. Cela génère la fausse impression que le FSB a attrapé
des activistes de gauche au hasard, qui se limitaient à jouer à
l’airsoft et partageaient des vagues vues « antifascistes ». Le mot «
anarchistes », en référence aux compagnons, apparaît de moins en moins
dans les médias du pouvoir, nous sommes perdu dans un « antifascisme »
anonyme. Les anarchistes apparaissent comme les victimes de la terreur
d’État, n’ayant aucune volonté de combattre le système, ce qui devrait
pourtant être ce qui les caractérise. On doit payer le prix de
l’impersonnalité quand on veut obtenir la sympathie de la majorité.

Et au fait, la majorité ? Avec le durcissement du régime, la désillusion
de la population quant aux méthodes de lutte libérales et légales
grandit. L’affrontement direct avec les autorités publiques gagne de
plus en plus de sympathies. La Russie a déjà traversé un moment
semblable, au début du 20ème siècle, quand les révolutionnaires
jouissaient d’une large sympathie dans la société.

Les anarchistes ne doivent pas avoir honte d’eux-mêmes. Nous pouvons, à
la rigueur, nier toute « culpabilité » au tribunal. Cependant, un
anarchiste qui récuse les accusations, ne doit pas laisser tomber son
identité, ses idées. Personne ne pourrait condamner les faits contestés
: il n’y a rien de honteux dans des attaques contre l’autorité, dont on
devrait être embarrassés ou qu’on devrait éviter. C’est cela que les
autorités publiques désirent le plus : que pour quelques chances
illusoires dans la court d’un tribunal, les anarchistes eux-mêmes
dénoncent les méthodes radicales. Tout ce que les compagnons détenus
peuvent faire c’est de rompre l’arrangement de la repentance et du déni
de soi mis au point par le FSB, afin de passer le procès qui viendra
avec dignité. C’est à cela que nous tous devons contribuer.
La couverture de l’affaire à l’étranger

Nous ne savons pas si cela a été fait de façon intentionnelle ou pas,
mais le mouvement anarchiste international s’est fait induire en erreur.
Par exemple Crimethinc répète la version droit-de-l’hommiste, selon
laquelle le FSB « a utilisé la torture pour les obliger à signer de
fausses déclarations par lesquelles ils admettent de participer à un
réseau terroriste bien évidemment inventé ».
Le 20 avril, la télé russe a montré une vidéo de propagande sur
l’affaire, qui contient aussi la vidéo d’un entraînement militaire, qui
ne ressemble pas du tout à de l’air soft.

Un telle approche, comme celle de remplacer la réalité par une
interprétation arbitraire (quoique avec de meilleurs intentions) détruit
la confiance à l’intérieur du mouvement. Si on ne peut pas dire la
vérité, qu’on garde le silence, mais qu’on ne mente pas.
La vérité est que les personnes arrêtées sont des anarchistes ou des
personnes qui se considèrent d’abord antifa ; il n’y a pas d’antifas
non-anarchistes parmi eux. En outre, le FSB n’est pas en train de taper
au hasard, mais il vise les anarchistes appartenant à un certain courant
social-révolutionnaire.
Cependant, cela signifie-t-il qu’il n’y a pas de falsification ? Bien
sûr que non.
Falsifications

Évidemment, les instructions internes adressées au FSB ont laissé aux
flics la possibilité de recourir à leur gré à un certain panel de
torture, le but principal étant d’atteindre le résultat voulu.
Auparavant, le fait que les tortures aient été rendues publique les a,
en général, fait arrêter. Les flics de base ont préféré ne pas prendre
de risques. Maintenant, la publicité de ces faits ne les dérange plus et
les flics affichent impertinemment leur pouvoir sans limites.

Selon les compagnons, les flics sont en train de suivre des pistes
délirantes, comme celle des financements venant de l’Iran ou des liens
avec le mouvement nationaliste  Artpodgotovka . les flics surestiment
donc de manière voulue l’importance de l’organisation anarchiste
clandestine. Avec de telles méthodes d’investigation, personne peut dire
de manière sûre où est la vérité et où se trouve la fiction. Des telles
méthodes permettent de créer des affaires complètement bidons, comme
cela a été le cas pendant longtemps pour ce qui concerne les immigrés.

De telles falsifications rappellent les bien connues pratiques des
tribunaux de Staline. Dans les années 30, la violence à l’encontre des
personnes arrêtées grandissait d’une année à l’autre, jusqu’à atteindre
le niveau de tortures médiévales sophistiquées. Des antifascistes
européens qui avaient été interrogés par la Gestapo et ont par la suite
été arrêtés par la NKVD (l’ancêtre du KGB) dans l’Union Soviétique ont
témoigné de l’emprunt évident de l’arsenal des techniques de torture aux
nazis. En même temps, il y avait un niveau grandissant de falsification
des investigations, jusqu’à celles complètement inventées, au hasard des
personnes qui étaient jugées.

Il n’y a pas de garanties : à savoir si les personnes arrêtées n’ont
rien à voir avec l’affaire, si les armes ont été mises là [pour être
trouvées par les flics ; NdAtt.] et lesquelles, si les buts de
l’organisation ne sont pas fictifs. Avec de telles méthodes
d’investigation, les falsifications cessent de différer de la réalité :
sous torture, presque tout le monde fournira les témoignages demandés.
Conclusions

Un des buts de la torture était son aspect démonstratif. L’ordre à ce
propos est arrivé d’en haut, ça n’a pas été simplement une méthode pour
mettre des gens hors-jeu ou pour fabriquer des témoignages. Le FSB
voulait convaincre les anarchistes et les mouvements anti-régime que
même un comportement loyal collaboratif avec les forces répressives]
après l’arrestation ne garantirait pas le fait d’échapper à la torture.
Ces tortures sont prophylactiques et ont le but d’intimider.

Le gouvernement russe, comme tout régime autoritaire, ne peut pas
exister sans l’image de l’ennemi, extérieur ou intérieur. Mais les gens,
depuis l’époque de l’Union soviétique, ont été habitués à l’éternelle «
menace venant de l’Ouest » avec ses espions. Par conséquent, la société
est de plus en plus poussée vers le massacre brutal des « ennemis
publiques». Pour parvenir à cette fin, le sujet de l’extrémisme est
activement promu et de nouveaux « ennemis » sont détruits.

Maintenant c’est au tour des anarchistes de jouer le rôle de l’ « ennemi
». Cela est manifeste depuis plusieurs années, depuis que la répression
a commencé à créer de fausses affaires « extrémisme ». Le FSB se fout
des actions radicales réelles, maintenant les personnes sont
sélectionnées simplement pour leurs intentions, pour leur idéologie.
Dans la Russie moderne, être appelé un anarchiste révolutionnaire est
devenu un crime. Nous sommes revenu aux temps du tsarisme.

La Russie se dirige vers le fascisme, le pire est devant nous.
PAR : traduction de
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