Histoire > Editorial du n°1 du journal Umanita nova 27 février 1920
Histoire
par Errico Malatesta le 29 novembre 2020

Editorial du n°1 du journal Umanita nova 27 février 1920

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Trad. Monica Jornet Groupe gaston couté & individualita FAI Napoli




Le 27 février 1920
NOS OBJECTIFS
Nous sommes anarchistes, anarchistes au sens propre et commun du mot ; à savoir que nous voulons détruire cet ordre social par lequel les personnes en lutte entre elles, s’exploitent et s’oppriment, ou tendent à s’exploiter et s’opprimer mutuellement, pour atteindre une nouvelle société où, dans la solidarité et l’amour, toutes les personnes trouveront une liberté complète, la satisfaction maximale de leurs propres besoins et de leurs propres désirs, le plus grand développement possible de leurs facultés intellectuelles et affectives.
Personne ne pourrait dire exactement quelles sont les modalités concrètes de réalisation de cette vie de liberté à laquelle nous aspirons ; et personne, surtout, ne pourrait, en tant qu’anarchiste, envisager d’imposer aux autres la façon meilleure à ses yeux. La seule façon d’arriver à la découverte de ce qui est le mieux, c’est la liberté, liberté de rassemblement, liberté d’expérience, liberté complète sans autre limite sociale que celle de l’égale liberté des autres.
Parmi les anarchistes, il y en a qui aiment se dire communistes, ou collectivistes, ou individualistes, ou autrement encore. C’est souvent une question de termes interprétés différemment qui opacifie la similitude fondamentalement identique des aspirations ; parfois il ne s’agit que de théories, d’hypothèses, par lesquelles on explique et on justifie des pratiques identiques.
Nous ne voyons pas de raison pour que ces camarades de différents courants ne puissent pas œuvrer en commun, quand la finalité est commune et les moyens ne sont pas contradictoires. Par ailleurs, il y a des anarchistes qui accordent la plus haute importance à l’action révolutionnaire qui brise violemment la violence étatique et la domination capitaliste, afin de créer le nouvel environnement de liberté qui rende possible l’accession des masses à une vie meilleure ; et d’autres font en revanche davantage confiance à la diffusion progressive de l’Idée au moyen de la propagande et de l’éducation.
Cela est fonction d’une appréciation différente de la situation ou relève simplement de différences de tempérament ou de dispositions personnelles ; mais ne devrait pas empêcher une coopération amicale et une répartition utile de la tâche à accomplir.
Quoi qu’il en soit, toutes ces tendances, ou écoles si l’on veut, trouveront en Umanità Nova leur organe de presse et leur terrain de lutte, pourvu qu’elles acceptent les principes suivants, qui sont, d’après nous, le phare qui éclaire le mouvement anarchiste et le guide sur la voie sur laquelle il doit avancer.

Lutte contre l’ignorance, contre le mensonge religieux, contre les préjugés, les rivalités et les haines nationales ou racistes ; lutte contre l’esprit de domination d’une part et de soumission d’autre part ; lutte contre les institutions économiques et politiques en vigueur sans la moindre tractation ou coopération avec les classes du patronat ou les organes étatiques ; préparation morale et technique des masses à l’avènement d’une société où chaque personne ait libre accès à la terre, aux matières premières, aux outils de travail, de sorte que personne ne soit dans l’obligation de vendre son propre travail et de se faire exploiter par qui détient ces moyens de travail et n’en fait pas directement usage par son travail personnel, une société où chaque personne soit totalement libre sans que personne d’autre, individu ou compagnie, ne puisse lui imposer par la force sa propre volonté.
Donc, Abolition du capitalisme, dont le système de production est fait pour le profit d’un petit nombre et pas pour la satisfaction des besoins de toutes les personnes, entraînant misère et dégradation des masses prolétaires. Abolition de l’État, même camouflé, avec ses organes législatifs, judiciaires et militaires. Constitution de libres communautés anarchistes unies volontairement dans une fraternité effective et la coopération avec tous les peuples du monde.
Et, pratiquement, le jour où le gouvernement sera abattu et qu’on en aura la possibilité matérielle : Prise de possession (de la façon la plus ordonnée possible et avec les orientations de groupes conscients) par le peuple soulevé, de toutes les richesses existantes, maisons, aliments et autres articles de consommation, puis distribution équitable, proportionnellement aux besoins et aux quantité disponibles. Confiscation par les personnes travailleuses, de la terre, des bureaux, des moyens de transport, des machines et autres instruments de travail ; et organisation immédiate de la production et de l’échange, opérée par toutes les personnes, au profit et à l’avantage de toutes les personnes, par les moyens, toujours modifiables et perfectibles, jugés les meilleurs par les personnes concernées.
Une organisation attentive de l’instruction publique ouverte à toutes les personnes à tous les niveaux, des services médicaux et d’hygiène, et de l’assainissement urgent des territoires en révolution pour l’augmentation de la production et l’adaptation aux besoins et la jouissance humaine. Résistance organisée contre les tentatives possibles de réaction et de restauration du régime tombé. Opposition à toute tentative de nouveaux gouvernements et de nouvelles organisations autoritaires et d’oppression.
Voici les principes et les objectifs qui nous unissent. Et si, d’aventure, il se trouvait des personnes qui, tout en se déclarant anarchistes, se désintéresseraient du sort général et ne voudraient que leur liberté et leur épanouissement personnel sans se soucier du bien-être, de la liberté et de l’élévation morale des autres, ou bien des personnes qui croient pouvoir arriver à la Liberté au moyen de l’autorité, eh bien, nous ne pouvons empêcher personne de se donner un nom quel qu’il soit, mais nous disons que leur anarchisme n’est pas notre anarchisme. Ces personnes pourront sans doute trouver l’hospitalité dans notre journal, mais ce ne sera qu’à titre d’information et de discussion aux fins de notre propagande.
Mais, surtout, même si nous faisons une part aux dissertations théoriques et aux expressions savantes, nous n’entendons pas jouer de virtuosité gratuite. Les temps sont trop orageux, les événements se pressent trop vite pour permettre aux camarades de s’attarder dans des discussions abstruses et des poses cosmétiques. Nous ne le voulons pas, nous devons être un journal de combat.
Quand le système en vigueur, capitaliste et étatique, a donné ses pires fruits ; quand la nécessité d’une profonde transformation sociale est évidente pour tous les êtres pensants, non aveuglés par la peur sordide de devoir renoncer à des privilèges usurpés, quand tout le pays souffre et tremble ; quand la révolution paraît imminente et incontournable, qu’il n’est plus question que du tour plus ou moins radical que cette révolution doit prendre, nous ne pouvons plus nous borner à être une poignée d’avant-gardistes qui fait de la propagande et lutte pour un lointain idéal de perfection, qui prévoit et exhorte dans le désert, en se contentant d’avoir raison… une fois que les faits sont advenus.
Nous devons être une force vive qui concoure continuellement, efficacement, et donc au moment même où l’occasion se présente, à la détermination des faits sociaux et empêcher que ceux-ci soient exploités par des personnes rusées profitant de la naïveté des humbles, et pour les pousser vers la pleine réalisation de l’idéal libertaire.
C’est pourquoi nous devons porter notre propagande au plus profond des masses. Nous devons faire entendre notre voix et connaître notre action au sein de toutes les luttes ouvrières, de tous les mouvements populaires. Toujours et partout, nous devons susciter chez les personnes qui souffrent une conscience vive et l’impatience à l’égard des injustices dont elles sont victimes : Leur inspirer confiance dans leurs propres forces et les pousser à agir par elles-mêmes, directement, en coopération avec leurs camarades de peine et d’aspirations.
C’est l’œuvre pour laquelle nous lançons un appel à toutes les personnes généreuses qui aspirent à la libération humaine. Nous lançons un appel général, y compris aux classes privilégiées dans le cas où elles sentiraient toute la honte de leurs privilèges de classe, résultant des affres, du supplice, de l’avilissement des personnes travailleuses et viendraient vers nous sans calculs, sans ambitions, juste dans le désir de bien faire, avec une soif d’amour.
Nous faisons surtout appel aux prolétaires ayant une conscience politique, car l’histoire leur confie la mission d’être les principaux artisans des prochains bouleversements sociaux.
Aux camarades, aux anarchistes, nous disons : apportez-nous votre soutien le plus ardent et constant à votre journal si vous pensez que ce soit une œuvre utile ; mais n’imaginez-pas qu’un soutien au journal suffise pour avoir fait tout votre devoir.
Le journal n’est que l’un de nos moyens d’action. Si, au lieu de susciter de nouvelles forces, des initiatives plus audacieuses et bouillonnantes, devait absorber toutes nos forces et étouffer toute autre activité, ce serait vraiment malheureux et absolument pas une affirmation de sa vigueur, une preuve de sa force, sa vitalité et sa hardiesse.
En outre, il y a une partie du travail qui ne peut, par définition, être faite par le journal ou par les journaux. Comme le journal doit s’adresser au public, il doit nécessairement parler devant l’ennemi, et il y a des circonstances dans lesquelles l’ennemi ne doit pas être informé. Les camarades doivent y veiller... en d’autres lieux ! Et à présent, au travail !


PAR : Errico Malatesta
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